La requête de Kamui [PV Sekai Kakumei]

Il était environ trois heures de l’après-midi quand un garçon aux cheveux dorés ouvrit le box des cœurs du centre des échanges. Mécaniquement, il referma la porte derrière lui à l’aide de sa clef en cuivre. Il posa sa casquette sur le porte-manteau et dénoua également le foulard autour de son cou. Il faisait drôlement chaud aujourd’hui à la Pink Cage. Apparemment le problème de climatisation du bâtiment B n’avait pas été réglé. Heureusement, ce souci technique n’avait pas affecté les dortoirs. Masami n’aurait pas pu supporté cette chaleur suffocante pendant la nuit également.

« - Qu’est-ce qu’ils peuvent bien fabriquer ces paresseux d’ingénieurs ? » dit-il rageur en cognant son poing contre la table.

Il retourna la pancarte du guichet dans le sens OPEN pour signaler que son bureau était ouvert. Il n’y avait encore personne en face. Dire qu’il aurait pu dormir un peu au lieu de perdre son temps ici. Fichus horaires à la noix ! Plutôt que de continuer à se plaindre, l’adolescent choisit de voir les choses du bon côté. Etant donné que pas un chat ne traînait dans les parages, il pouvait piquer un petit somme ici. Par contre si des membres du Club Meisei passait par là, ça risquait de chauffer pour son matricule. Ces petits rapporteurs iraient tout dire à Kamui qui lui collerait encore une de ces fichues infractions. Comme si lui avoir arraché son frère ne suffisait pas, ce maudit roi de cœur prenait un malin plaisir à mener la vie dure. Il pourrait au moins faire preuve d’un peu de compassion au vu de ce qu’il lui avait fait subir.

Regarde-toi Maza ! T’as un petit moment peinard et t’es déjà entrain de te pourrir la tête avec cet enfoiré !

Il se leva de son siège et se rendit devant l’une des grandes armoires qui contenait tous les objets précieux des Cœurs. L’air un peu nostalgique Masami caressa brièvement le museau d’un ours en peluche. L’enfant laissa traîner ses yeux sur toutes les autres curiosités qui se cachaient sur les étagères. D’une poigne agile, il s’empara d’un vieux cadre poussiéreux. Cela devait faire un moment que ce machin traînait ici vu à quel point il était sale. A l’aide de sa manche, le petit frère d’Akizumi nettoya la surface transparente. On pouvait voir un petit garçon de six ans ses bras autour d’un animal qui tirait la langue. Avec difficulté, le benjamin des Kumagaya reconnût un chien. A force de passer du temps avec les Bakemons, on finissait par oublier qu’il existait au-delà de ces murs, des animaux. Derrière eux se tenaient deux adultes souriants qui étaient sans doute les parents de l’enfant. Une photo de famille très banale en somme mais à la Pink Cage, cette chose valait bien plus que de l’or. Certains auraient payé cher pour pouvoir posséder un tel bijou du passé.

Masa-chan s’attarda longtemps sur l’expression de bonheur et de béatitude présents sur tous les visages de l’image. Puis, il reposa l’objet et essaya de trouver une autre petite merveille en attendant qu’un « client » se pointe. Bien qu’aucune consigne ne l’interdisait, il aurait été mal vu que quelqu’un découvre l’échangeur entrain de fouiller dans les affaires de ses camarades. Son rôle se limitait uniquement à surveiller les transactions et à stocker les biens, pas à fouiner dans leurs petits secrets personnels.

« -Ah, le voilà ! »

Avec difficulté, il extirpa un mystérieux coffret du placard en bois. Il fallait dire que rien n’était rangé comme il le fallait. Heureusement, il avait rempli pour chaque objet, une fiche d’identification accompagnée du nom du propriétaire et d’une photo. De cette façon, il était chaque fois sûr de s’y retrouver même si cela pouvait tout de même prendre beaucoup de temps.

Délicatement, il ouvrit le coffret comme s’il renfermait un fabuleux trésor. Celui-ci contenait un tas de billes multicolores et quasiment intactes. Parmi tous les objets qu’il gardait ici, c’était de loin celui-là son préféré. Il éparpilla les perles de verre sur le sol et commença à les faire claquer les unes sur les autres en essayant de se concentrer correctement. Il aurait pu rester des heures comme ça, le ventre sur le sol et ses yeux fixant avec attention le mouvement de ces sphères bleues, rouges ou vertes. Il aurait bien aimé un compagnon de jeu mais depuis la disparition d’Aki-chan, il n’adressait plus la parole à grand monde et les gens le lui rendaient bien. Même si au début, ils avaient essayé de lui témoigner de la compassion, lui s’était montré distant et glacial. Mais maintenant qu’il allait un peu mieux, tout le monde l’avait abandonné.

« - Mince ! J’y étais presque ! » s'exclama-t-il en ratant un lancé.

Masami commença à chantonner un air d’une vieille chanson française qu’il avait retrouvé dans un bouquin de la bibliothèque. Bien qu’il ne s’agissait pas du tout de son univers musical, les paroles l’avaient profondément marqué. Ses doigts continuaient de faire tinter les billes tandis que sa délicieuse voix entamait une gracieuse mélopée empreinte de spleen et de mélancolie. Le rythme était lent, ce qui rendait l’air entêtant, un peu comme une comptine. Les larmes pointèrent et coulèrent sur les joues de l’enfant.

"Une corvée de plus ... Très bien. Il ne faut pas que je perde mon temps dans cette tache si je veux pouvoir terminer le rangement du mois de Septembre."

Sekai quitta le bâtiment D et prit la direction du B. Il fut légèrement ébloui par le soleil qui frappait fort ce jour-là. Depuis maintenant 5 jours, l'astre lumineux répandait sa chaleur sans discontinuité, ce qui rendait l'atmosphère de plus en plus difficile à supporter. Les Ingénieurs lui avaient reporté un défaut lors de la mise en service du nouvel appareillage de "temps d'été", qui empêchait les autres climats d'être programmés. Cumulé avec un dysfonctionnement dans le circuit électrique de la climatisation du bâtiment B, Sekai se demanda quand Kamui allait prendre son rôle de président au sérieux. Il était responsable des Ingénieurs. S'il passait plus de temps à diriger les élèves qu'à les caresser, le problème serait déjà réglé. Mais Sekai trouvait la situation plutôt amusante. En effet, la chaleur rendait les gens assez imprévisible, et cela plaisait énormément au vice-président.

Il entra dans le fameux bâtiment -où la température frôlait dangereusement celle d'un four- et monta au deuxième étage, celui du Cavalier. Il voulu aller directement au Centre des Échanges, mais un murmure attira son attention sur sa droite, derrière la porte du Centre de Bien-Être. Il s'approcha lentement, et se concentra sur le faible bruit. Au bout de quelques instants d'écoute, il comprit que le murmure qu'il avait entendu était le souffle d'un jeune homme. Du moins, il semblait y avoir deux souffles simultanés. Encore deux étudiants en train de se donner du plaisir sur une des tables de massages. Sekai se fit la remarque d'insister sur l'hygiène de cette pièce auprès du prochain Valet qu'il croiserait, puis reparti vers sa destination première.

Là aussi, un faible bruit vint lui chatouiller l'oreille.

"Mais ce n'est pas possible ! Tout le monde passe son temps à prendre son pied dans cet endroit ??"

Mais en entre-ouvrant la porte, il se rendit compte que le bruit n'était en fait qu'une chanson joliment interprétée. Sekai reconnu la voix du chanteur. Cette voix si belle ne pouvait appartenir qu'au petit frère de feu son ami Akizumi, cette voix si célèbre dans la Pink Cage. Sekai entra dans la pièce et referma la porte discrètement, ne désirant pas interrompre cette belle interprétation. Les paroles rendirent Sekai légèrement mélancolique, mais vu de l'extérieur, il ne laissa absolument rien paraître. La pièce était coupée en deux, la moitié où il se trouvait ne comportait qu'une petite table entourée de sofas a priori moelleux. L'autre partie de la pièce était partagée en 4 box de taille identique, chacun arborant un des quatre symboles des élèves. Sekai approcha lentement du box des Cœurs, cherchant du regard où pouvait bien se trouver le chanteur.

Il ne vit personne, pourtant, la voix s'échappait bien du box. Il s'approcha encore plus, et se pencha au dessus du comptoir et aperçu le jeune garçon, allongé par terre, jouant avec des billes provenant d'une petite boîte en bois. Sekai trouva la scène très amusante, et se souvint qu'il était interdit d'utiliser les objets entreposés dans les box d'échanges.

"Excuse-moi de te déranger, Masami-kun, mais je viens de la part de Kamui-sama. Il voudrait récupérer l'objet qui est indiqué sur cette note."

Il tendit le morceau de papier à Masami et regarda avec un petit sourire amusé le jeune homme prit sur le fait d'une bêtise qu'il n'aurait pas du commettre.

Pour n’importe quel autre adolescent de quatorze ans vivant cette époque, il n’était pas pensable de s’amuser avec d’ordinaires billes. Avec l’apparition des simulateurs et autres prouesses de la technologie, les jeux vidéos étaient rapidement devenus le passe-temps favori de la nouvelle génération. D’ailleurs même les plus âgés qui avaient connu l’antique Playstation se laissaient gagner par le phénomène. On voyait de moins en moins de jeunes dans les rues que ce soit en métropole et même dans les campagnes. On préférait de loin la communication instantanée ou les jeux en réseau. C’est pourquoi tous ces gens auraient été choqué en observant Masami-kun prendre tant de plaisir en faisant se cogner ces petites sphères colorées.

Tandis qu’il finissait sa chanson, Sekai, le bras droit de Kamui fit irruption au centre des échanges. Intrigué par le manège du gosse, il s’était subrepticement rapproché sans que ce dernier ne s’en aperçoive. Le blondinet continuait paisiblement sa partie sans se douter le moins du monde de la présence d’un quelconque intrus. Ce n’est qu’au moment où la dame de pique prit la parole qu’il s’aperçut qu’il n’était plus seul. Masami sursauta. S’il s’était trouvé quelques centimètres de plus en arrière, il se serait certainement cogné contre l’une des étagères. Gêné de s’être laissé si honteusement surprendre, le jeune garçon se redressa en cachant aussi vite qu’il pût les billes dans les poches de son short. Malheureusement, l’une d’elle s’échappa et tomba sur le sol un tintement parfaitement audible. Les joues en feu et le cœur battant à cent à l’heure, le petit frère d’Akizumi saisit l’objet qui l’avait trahi et le rangea dans le coffret. Il se dépêcha également d’y placer tous les autres sous le regard amusé du vice-président des Meisei.

« - Excusez-moi Kakumei-san, mais vu qu’il n’y avait personne qui avait besoin de moi, je me suis dit que ce n’était pas bien grave si je m’amusais un peu avec ces jouets. »

Les yeux baissés, l’air penaud, Masa-chan avait l’air d’attendre de recevoir une bien méchante rouste. Heureusement pour lui, Sekai n’avait pas l’air de mauvaise humeur comme c’était pourtant souvent très le cas, ou du moins c’était l’impression qu’il donnait. Le garçon aurait aimé pouvoir lui faire un petit sourire complice comme celui que font deux gamins lorsqu’ils commettent une bêtise ensemble pour la première fois. Hélas, il ne pouvait pas oublier de qui Sekai recevait ses ordres. D’ailleurs c’était pour cette même personne que le garçon aux cheveux bleus était venu le voir.

« - Faites-moi voir ça ! De quoi son Altesse sérénissime a-t-elle besoin ? » demanda-t-il avec un brin de cynisme dans la voix.

Ses yeux se posèrent sur le papier que Sekai venait de lui glisser. Le président des Meisei souhaitait retirer l’article PK13-008. Même s’il n’en avait pas l’air, le garçon n’avait absolument aucune idée de l’endroit où cet objet pouvait bien être. Ses doigts frôlèrent les différentes étiquettes de la bibliothèques comme si chacun d’eux avaient été pourvu d’yeux minuscules. Il plongea sa tête dans les rayons et réussit même à se glisser dans l’un d’eux. A l’aide d’une petite lampe de poche, il examina avec précaution les objets. Après l’inspection de tous les endroits à sa portée, il se décida à sortir un grand escabeau et explorer les placards du haut. En ouvrant grandes les petites portes des rangements, Masami balança sur le sol six canards en plastiques, huit tutus, un pot de bonbons, quatre bouée, trois vibromasseurs, et encore nombre d’objets fantaisistes qu’on ne saurait nommer. Quand, il ne resta presque plus rien au fond, il trouva enfin l’objet convoité. Il sauta du haut de son perchoir et atterrit brillamment sur le sol sans se faire mal.

« - Il faut que je trouve la bonne maintenant. Je me demande bien laquelle peut bien intéresser Shirogane-sama ... Il veut la 43 c’est bien ça, hein ?»

Il vérifia méthodiquement sur la note de Sekai puis reprit là où il en était, voyant qu’il ne se trompait pas. Hâtivement, il tourna les pages de cet ouvrage qui était en réalité un album photo. On pouvait voir différents tirages de Kamui dans différents lieux du campus. Toujours accompagné des plus beaux spécimens de l’école, le jeune roi de coeur semblait aux anges. Arrivant enfin au bon numéro, la main de l’enfant se figea. Ses yeux venaient de se poser sur un cliché où Kamui entourait tendrement Akizumi de ses bras. Masami, également présent sur l’image, affichait une expression boudeuse, sa peluche pikachu posée entre ses cuisses. Calé entre les deux adolescents, on aurait pu croire qu’il s’agissait là de ses deux papas.

« - L’enfoiré … »

La remarque de Sekai fit sursauter le petit frère d'Akizumi. La Reine de Pique vit un mélange de panique et de stupeur prendre possession des traits du visage angélique de Masami. Se relevant prestement, en tentant de dissimuler le fruit de sa bêtise dans ses poches, l'une des billes s'échappa de ses mains et rebondit bruyamment sur le sol carrelé. Le blondinet ramassa aussitôt l'auteur du bruit et ses joues de jeune homme parfaitement imberbe prirent une teinte pourpre qui amusa encore plus Sekai.

« - Excusez-moi Kakumei-san, mais vu qu’il n’y avait personne qui avait besoin de moi, je me suis dit que ce n’était pas bien grave si je m’amusais un peu avec ces jouets. »

Sekai le regarda de haut, comme il le faisait souvent avec les personnes de Rangs inférieurs au sien, mais ne senti pas d'humeur à verbaliser l'Echangeur. Il avait déjà du modifier son programme de la journée pour pouvoir récupérer l'objet de Kamui. Il n'avait vraiment pas le temps de s'adonner au plaisir de punir le jeune homme. Il avait mieux à faire que de faire respecter l'ordre aujourd'hui.

« - Faites-moi voir ça ! De quoi son Altesse sérénissime a-t-elle besoin ? »

Le secrétaire de "l'Altesse sérénissime" sourit à la remarque complètement cynique de l'Echangeur. Sekai savait que le jeune homme nourrissait une haine farouche envers l'ancien amant de la Reine de Cœur. Comment pouvait-il en être autrement ? Kamui avait passé les semaines suivant la mort d'Akizumi à répéter qu'il était responsable de sa mort. Le jeune Masami ne pouvait rien faire d'autre que de haïr le "meurtrier" de son frère. Sekai savait que le Président n'était pas coupable. Il n'avait pas forcément confiance en l'homme à la chevelure mauve, mais une sorte de lien de loyauté s'était instauré entre eux. Par contre, il n'avait aucune idée de l'identité du coupable. Mais il enquêtait secrètement dans les archives du club pour y trouver une piste éventuelle.

Sekai observa le jeune Masami chercher l'objet demandé. Il parcouru les étagères où reposait un certain nombre des possessions des Cœurs, qui prenaient la poussière. Il dût se munir de sa lampe torche et d'un escabeau pour fouiller les hauteurs que sa taille ne lui permettait pas d'atteindre. Masami sorti alors toute une suite d'objets aussi improbable les uns que les autres et finalement, après dix bonnes minutes de recherche -Sekai était maintenant en retard sur son planning- il sorti un album photo couvert également de poussière.

« - Il faut que je trouve la bonne maintenant. Je me demande bien laquelle peut bien intéresser Shirogane-sama ... Il veut la 43 c’est bien ça, hein ?»

Le jeune homme aux yeux dorés tourna les pages machinalement et se figea sur la photo tant convoitée. De là où il était, Sekai ne pouvait voir la photo en question, mais l'air agressif que prit Masami lui permit de comprendre ce que représentait le cliché.

« - L’enfoiré … »

« Un problème, Masami-kun ? »

La question n'était absolument pas innocente. Sekai se doutait que la photo devait représenter Kamui-sama en compagnie du grand frère de l'Echangeur. Cette situation amusa la Reine de Pique. Le Président avait le don de mettre les gens dans tous leurs états, quelque que soit l'état en question. Une simple photo de lui mettait le Sept de Cœur dans une colère proche de la rage. Il tendit la main vers le jeune homme afin de récupérer l'objet convoité par le Roi de Cœur.

« Merci pour ton aide, Masami-kun. Puis-je avoir la photo en question ? »

La chaleur qui avait paru si insupportable un peu plus tôt à Masami lui semblait à présent douce et agréable, étant donné l’état dans lequel il se trouvait à présent. Peu lui importait sa peau moite et sa gorge sèche, maintenant qu’un énorme bulldozer émotionnel venait de lui passer dessus. Accablé, il tomba sur son siège, laissant de vieilles émotions oubliées renaître en lui. Certes, il n’avait jamais cherché à effacer son frère de son esprit, mais il croyait à tort comme beaucoup de monde, que le temps viendrait alléger sa peine. Hélas, voilà un presque un an que le drame avait eu lieu, et sa rage était intacte. Peut-être même plus forte qu’autrefois.

Ses yeux s’étaient maintenant mis à fixer avec gravité les trois personnages du cliché. Celui-ci avait été pris au milieu du printemps quatre ans plus tôt. Le trio se trouvait dans la cour de la Pink Cage. On apercevait d’ailleurs derrière eux d’autres étudiants qui s’amusaient avec un ballon. Mais aux yeux de Masami, ces figurants importaient peu. Son attention était concentrée sur le visage angélique de son défunt frère mais aussi sur le superbe sourire de Kamui. En observant cette image, il était difficile de concevoir que le président des Meisei pouvait être un affreux assassin, mais, hélas, c’était pourtant la triste vérité.

¤ Plongeant dans ce souvenir, Masa-chan se retrouva bientôt entrain de revivre ce dont sa mémoire avait conservé la trace. Sa peluche jaune dans les bras, le garçon qui avait soudainement perdu quelques centimètres courait dans tous les sens en brayant pour échapper à son hostile poursuiveur à la chevelure parme. Hélas, ses jambes ne lui permirent pas d’aller bien loin et ce fut sans trop de mal que le roi de cœur attrapa sa proie. Le gosse aux boucles blondes eût beau se débattre, il lui était impossible de se défaire de la tendre étreinte de son sempaï.

« - Attrapé ! » cria joyeusement celui-ci en tenant Masami sur ses genoux.

Plus loin, Akizumi dérangé en pleine lecture se mit à rire devant ce couple improbable. Il était si heureux de voir que les deux êtres qu’il chérissait le plus au monde s’entendaient aussi bien. Certes, cette cohabitation avait connu des débuts difficiles mais son petit frère avait fini par s’habituer à Kamui et l’avait doucement laisser pénétrer dans son cocon social. Il aurait beau joué les râleurs, son grand frère devinait l’affection mutuelle qui le liait à présent à cet étudiant.

A coups de griffes, Masami parvint à fuir les doux bras du futur président puis, il se mit à courir vers son aîné pour se faire cajoler. Mais, au même moment, Nadeshiko, la superbe reine de trèfle apparût devant son frère. Plus en forme que jamais, la danseuse de mambo portait autour de son cou un énorme polaroid qui semblait dater de Mathusalem. Intrigué par cet objet étrange dont il ignorait la fonction, il se mit à sautiller devant l’alléchante poitrine de son amie pour attraper l’appareil. S’apercevant de la curiosité du nabot vis-à-vis de la machine, celle-ci lui expliqua que cela servait à prendre les gens en photos afin de conserver matériellement un souvenir de tous les moments qu’on passait avec les personnes qu’on appréciait.

« - Je l’ai emprunté à cette chipie de Nanoka. Si vous la voyez, dites-lui que vous ne m’avez pas vu. » chuchota-t-elle au groupe en souriant.

Fière de son forfait, elle proposa ensuite aux garçons de s’asseoir pour prendre un cliché. Les plus grands acceptèrent avec joie. Masami, lui, ne partageait pas leur enthousiasme. Il aurait préféré être seul avec Akizumi sur l’image. D’un autre côté, il lui était aussi impossible de ne pas poser avec eux sinon cela aurait signifié qu’il abandonnait son aîné à Kamui et qu’il quittait définitivement le champ de bataille. Motivé à bloc, il se plaça entre les deux amants enlacés. Lorsque le clic se fit entendre, il n’eût pas le temps de se forcer à sourire ce qui explique certainement l’expression légèrement renfrognée qu’il conserva sur le papier. ¤

Allo, allo ? La Terre appelle Masami. On t’a posé une question là !

Une petite voix au fond de sa tête le fit émerger de sa rêverie nostalgique. Un peu l’air absent, ses yeux tombèrent sur la reine de pique qui attendait toujours que celui-ci lui remette la photo. Mais le gosse, lui, ne l’entendait pas de cette oreille. Sans prévenir, il déchira sèchement le cliché de façon à ce que le président des Meisei se retrouve séparé des deux frères. Il savait pertinemment qu’il venait de commettre une faute et que la punition n’allait pas tarder à lui tomber dessus. Mais c’était pas cher payé pour la tête que Kamui allait faire lorsqu’il saurait ce que le chanteur venait de faire de son précieux objet. Il glissa au secrétaire le plus petit morceau de l’image conservant l’autre fermement dans sa main.

« - Voilà ! Sa Majesté souhaitait-elle autre chose ? » demanda-t-il l’air triomphant.

Il avait bien envie de sangloter comme il l’aurait fait avant la mort d’Aki-chan. Mais ce Maza là avait disparu depuis quelques temps. Plus question de perdre la face devant qui que ce soit et encore moins le toutou du roi de cœur. Son regard ne trahissait pas le moins du monde la détresse qui pouvait à tout moment le faire s’effondrer. Il n’avait qu’une envie : que Sekai s’en aille pour qu’il puisse déverser ses larmes impudiques. D’un geste faussement assuré, il rangea ce qui restait de la photo dans une poche de son pantalon et tournant le dos au garçon aux cheveux bleus, il entreprit de ranger l’album et tous les autres bidules loufoques là où ils s’étaient trouvés un peu plus tôt.

[HRP : Vraiment désolé pour ce long retard. J'ai eu un léger contretemps. ]

Les yeux de Masami, remplis de défi, targuaient Sekai de la tête aux pieds. Le Sept de Cœur se retourna pour ranger ses affaires, et tourna délibérément le dos à la Reine de Pique. Ce dernier senti son sang ne faire qu'un tour. Un mélange de colère et d'amusement déferla en lui, le mettant dans une situation quelque peu délicate. Il avait modifié son emploi du temps afin de satisfaire un caprice de son Président, en faisant tout un détour pour venir récupérer "l'objet si indispensable à mon bien être !" -les mots tels qu'ils avaient été présentés à Sekai pour le convaincre- et il se retrouvait face à la colère d'un adolescent pré-pubère, qui venait de détruire l'objet tant convoité. En même temps, il trouvait la situation assez hilarante. Il était curieux de voir la tête que ferait Kamui lorsque son Vice-Président lui ramènerait la photo déchirée. C'était une attaque directe envers le Président des Meisei. Sekai aimait ce genre de comportement, aussi bien chez les gens qu'il fréquentait que chez les autres.

Malgré cela, le temps perdu pour cette "distraction" lui restait en travers de la gorge. Avec une vitesse qui frisse l'exceptionnel, il tendit son bras vers le comptoir et frappa violemment le dessus avec son poing. Le bruit fit sursauté le jeune blondinet.

"Écoutes-moi bien, jeune prétentieux! Je viens de perdre une heure pour venir récupérer cette satanée photo. J'ai dû modifier toute mon organisation de l'après-midi, et ce n'est certainement pas pour assister à ce stupide acte de rébellion qui n'aboutira à rien du tout." Sekai se pencha au dessus le meuble et approcha son visage de celui du frère d'Akizumi. Il espérait être suffisamment menaçant pour que Masami comprenne son erreur. Il laissa sa colère se déverser sur le jeune homme, au point qu'il se fit peur lui-même. Mais il laissa ses sentiments guider ses paroles. "Je tiens à te préciser que tu vas regretter ton geste pendant quelques temps, et que je vais m'arranger pour que ça se sache, très cher ..."

Une voix féminine, provenant d'un haut parleur placé dans un coin de la pièce, interrompit Sekai et dit d'une voix monotone :
"Masami KUMAGAYA, Sept de Cœur, vous venez de commettre une infraction de niveau 2.
L'accès aux salles scellées vous est interdit pendant les prochaines 24 heures et il vous êtes également impossible de donner des ordres aux rangs inférieur au vôtre.
Toute personne qui tenterait de vous aider à pénétrer dans l'une de ses salles commettra une infraction de niveau 3."

Sekai prit la photo déchirée, se retourna sans regarder l'Echangeur et parti en claquant la porte du Centre. Il était extrêmement agacé par ce qu'il s'était passé. Il ne comprenait pas qu'on puisse aussi aisément défier l'autorité et briser le règlement. Lui qui avait toujours exécuté à la lettre tous les ordres qu'on lui donnait, dans le seul but de bien se faire connaître et d'atteindre une position lui permettant d'atteindre facilement son objectif, il s'indignait du comportement outrageux de l'adolescent. Il avait besoin de se détendre avant d'aller amener le fruit de son agacement à Kamui. Il décida d'aller faire un détour vers la cafétéria pour prendre quelque chose à manger.