L'éclosion d'une fin [Pv Sekai]

Le temps passait, irrémédiablement, sans pouvoir s’arrêter. Mais pour Akira, les quelques heures qui constituaient un simple petit jour, ressemblaient à plusieurs semaines. A l’affût du moindre problème, d’une quelconque personne pouvant le découvrir, du plus petit parasite qui ruinerait ses plans. Toutes ces choses venaient de partir en fumée. Quelqu’un l’avait vu, ou plus précisément, avait vu ce qu’il cachait. Il ne pouvait plus se réfugier nul part à présent. Tout était terminé. En cuisine, le Préparateur avait demandé expressément à être averti si jamais la Reine de sa couleur venait à se montrer. Personne ne posait de questions, trop effrayé à l’idée de venir demander ce qu’il se passait au Six de Pique vu l’état dans lequel il se trouvait. En effet, Akira était vraiment paniqué, il ne cessait de trembler même légèrement et sursautait chaque fois qu’on lui parlait. C’était la boule au ventre qu’il venait chaque jour faire son travail derrière les fourneaux. Mais depuis l’incident, ses plats n’étaient plus aussi délicieux qu’ils l’avaient été. Certes, la présentation était toujours bien, mais il n’y avait plus cette même aura qui régnait autour de ses œuvres. Quelques fois, ces dernières étaient fades, ou trop acides, ou encore pas assez sucrées. Plus rien n’allait du côté d’Akira. Mais s’il demandait une pause, il était sûr qu’on viendrait l’interroger et ça il n’en avait guère l’envie. Les jours passaient et les pensionnaires commençaient à se plaindre, disant que les plats n’avaient plus la saveur qu’ils connaissaient. Malheureusement, le jeune garçon n’y pouvait rien. C’est donc dans la honte mais surtout la crainte, qu’il se retira des cuisines pendant une durée indéterminée.

La peur au ventre, il savait que les journalistes ne se priveraient certainement pas pour rédiger un brillant article sur cette soudaine décision qui ne pouvait que cacher un lourd secret. Akira se cloîtra dans sa chambre, n’en sortant que lorsqu’il était certain de ne trouver personne sur sa route, c’est à dire au beau milieu de la nuit, histoire de ne manger que le strict nécessaire et d’essayer de penser à autre chose. Cette dernière option était bien entendu chose vaine. A mesure que les jours se poursuivaient, le jeune Pique se sentait dépérir, sombrer dans une folie destructrice. Il se méfiait de tout le monde, sa voix ne franchissait même plus le seuil de ses lèvres, trop effrayé à l’idée de dire quoique ce soit qui causerait sa perte. Akira se sentait vraiment comme un évadé cherchant à se terrer au plus profond des abîmes de l’oubli. Son cœur battait la chamade à chaque instant du jour comme de la nuit, n’arrivant plus à trouver le sommeil. Des cernes fortement marquées avaient d’ailleurs pris place sous ses yeux turquoises. Ceci mêlait à sa peau blafarde et sa faiblesse grandissante, tout lui donnait l’air d’un cadavre près pour sa première autopsie. Mais il arrivait à marcher, c’était déjà une bonne chose. Il fallait absolument qu’il se reprenne sinon, s’en serait fini de lui, éternellement. Ses pas le conduisirent donc jusqu’à l’un de ses lieux favoris : la Bibliothèque. Endroit calme, reposant, apaisant. Il pourrait peut-être se changer les idées ici, ça valait le coups d’essayer plutôt que rester à se morfondre dans sa chambre. Il n’osait même plus s’entailler le poignet, de peur que quelqu’un d’autre ne remarque quelque chose. Pourtant, il en avait envie, il fallait qu’il le fasse ou sa frénésie le ferait se trancher les veines jusqu’à ce que mort s’en suive. C’est donc au beau milieu de la nuit qu’il se rendit jusqu’au sanctuaire de livres, accompagné tout de même de sa fidèle lame.

Akira vérifiait toutes les trois secondes environ si personne ne le suivait. Mais à cette heure-ci, tout le monde devait être endormi à rêver de choses agréables ou à cauchemarder. Il donnerait n’importe quoi pour reprendre cette vie. Mais tout avait été gâché par la Reine. Ce maudit Kakumei Sekai. Le jeune garçon aurait voulu se venger de lui, lui faire ressentir ce qu’il avait pu éprouver pour le voir souffrir jusqu’à ce qu’il implore sa clémence. Mais il n’en avait même plus le courage ni la force. Il désirait mourir, c’est tout ce qui lui importait à présent. Une semaine avait passé depuis l’incident entre lui et son supérieur, et l’enfer n’était rien comparé à ce qui se passait dans l’esprit tourmenté du subordonné. Ce dernier réussit à prendre la clé de la Bibliothèque afin de pouvoir y pénétrer sans forcer la porte. Il referma celle-ci derrière lui pour ne pas qu’on le dérange, mais il pensait inutile de la fermer à clé, personne ne viendrait à cette heure-ci le déranger. Il partit ensuite s’asseoir sur une chaise tout au fond de la pièce, caché par les rayonnages. Il resta assis durant de longues minutes, cherchant à se calmer. Mais rien n’y faisait, il n’avait pas d’autre solution. Habituellement, il aurait préférait mourir dans une lente agonie en regardant son assassin dans les yeux en prenant une expression de douleur maîtrisée pour le voir sourire. Mais en vue des circonstances, il fallait abandonner cette idée. Il colla alors son dos au dossier de la chaise, regardant quelques secondes le plafond, une larme incontrôlée venant perler le long de sa joue pâle. Il n’y pouvait rien, il devait le faire, pour que tous retrouvent une vie normale sans se soucier de lui.

Il regarda de nouveau vers le sol, puis ses yeux se posèrent alors sur son poignet. Il y approcha lentement sa lame, tremblant légèrement. Sa vue se troublait à cause de ses pleurs qui se faisaient plus fréquent. Il n’avait pas vécu beaucoup de choses dans sa misérable vie. Il n’avait pas pu étudier comme il l’aurait souhaité, il n’avait pas non plus affronté la mort en face, mais surtout, il n’avait jamais éprouvé un amour passionnel. C’était bête à dire, mais derrière ses expressions froides, distantes, il n’avait jamais pensé à ce que l’on pouvait ressentir lorsque l’amour venait à notre rencontre. Mais maintenant, il s’en fichait, tout serait terminé bientôt. Il inspira un bon coup, se calma du mieux qu’il le pouvait. Un léger bruit de grincement se fit alors entendre, mais il ne s’en inquiéta même pas. Ce devait simplement être la porte qu’il avait mal fermée et qui s’ouvrait. C’est alors que ses lèvres s’entrouvrirent, sa voix se dénouant petit à petit. Un léger son symphonique réussit enfin à percer la barrière de chaire. Sa voix quelque peu tremblante commença alors à résonner dans toute la Bibliothèque, faisant écho de façon mélodieuse.



Plus il chantait, même faiblement, plus sa voix se brisait. C’est sur sa dernière parole qu’il ne put contenir ses larmes qui coulèrent sur son visage d’ange maintenant déchu sans retenue. Il ne réussit pas à continuer et resta paralysé sur sa chaise, sanglotant de tout son être. Jamais il n’aurait pensé se sentir aussi faible dans toute sa vie. Même ses pleurs étaient fragiles, presque imperceptibles, mais étaient versés en ayant gardé une certaine mélodie, comme si cela faisait partie de la chanson, sa dernière chanson. Akira rapprocha doucement sa lame, tremblant, continuant de sangloter. Jamais il n’aurait pensé que sa vie se terminerait de cette façon. L’objet d’argent vint alors toucher sa peau, délicatement. Le garçon commença alors à appuyer faiblement, son état ne permettant pas d’en finir rapidement. Son sang couler doucement de sa plaie encore petite. Le sol se colora progressivement d’une teinte écarlate, se mêlant à la chaleur des larmes. Tout était terminé. La vie reprendrait son cours normal pour le reste du monde. Tout était terminé. Personne ne pleurerait sa mort. Tout était terminé, et il le savait. Ses pensées étaient tellement bouleversées qu’il ne remarqua même pas que quelqu’un l’observait, à quelques mètres devant lui, alors que ses larmes continuaient leur chemin jusqu’à choir sur le sol, ayant humidifié son visage d’enfant égaré au préalable.

[https://www.youtube.com/watch?v=_F--sTLp2ms C’est ce que je chante, à écouter de préférence dès le début du post pour s’imprégner de l’ambiance]

Sekai était morose. Il avait énormément de difficultés à conserver son masque de Vice-président, à l’écoute des autres, serviable et amical. Même Kamui –surtout Kamui- s’était rendu compte que quelque chose n’allait pas. Depuis sa mésaventure avec Akira, depuis sa découverte, depuis qu’il connaissait le secret du jeune Préparateur, Sekai n’arrivait pas à calmer son esprit. Une multitude de souvenirs, qu’il pensait pourtant avoir refoulés, étaient revenus à la surface, le faisant souffrir plus qu’il n’arrivait à le supporter. Des souvenirs concernant la mort de sa mère, de ses transferts de famille d’accueil en famille d’accueil, de ses mutilations, de tout ce qu’il lui rappelait la période qui précédait sa rencontre avec Akizumi. Il n’arrivait plus à contrôler ses sentiments, et la moindre parole qui lui était destinée entraînait une réaction disproportionnée. Il était entré dans une rage folle lorsqu’un As de Trèfle l’avait bousculé dans un couloir, alors que ce dernier n’avait en fait même pas touché la Reine de Pique. Le pauvre élève s’était retrouvé avec une punition injustifiée, et après s’être fait injurié pendant de longues minutes, il était parti en pleurs. Nadeshiko avait prit Sekai à part, après cette altercation afin de comprendre la réaction du Vice-président, mais ce dernier n’avait fait aucun effort pour expliquer sa réaction. Il l’a trouvait totalement justifiée.


Il n’avait pas cherché à voir Akira. Il ne sentait pas prêt à affronter ses propres démons à travers ceux du plus jeune des deux Piques, et faisait tout pour l’éviter. Mais il apprit très vite –par son réseau d’informateurs- que le 6 de Pique semblait tout faire pour l’éviter également. Voilà qui arrangeait ses affaires. Il ne voulait pas poursuivre son « plan » tant qu’il n’arriverait pas à se contrôler correctement. Il savait qu’Akira restait le plus possible dans sa chambre, qu’il venait très peu en cours, et que récemment, il avait quitté son poste de Préparateur. Sekai était tourmenté … : il ne voulait pas avoir à faire à Akira, mais ne pouvait pas laisser une personne sous sa responsabilité se comporter de la sorte et se replier sur elle-même, surtout si ce comportement était de sa faute. De toute manière, il ne pu prendre de décision car le destin intervint une semaine après son altercation avec le Préparateur pour décider à sa place.


Sekai avait eu ce jour là un cours particulièrement éprouvant sur l’appareil génital féminin, et son « fonctionnement » –en long, en large et en travers. Complètement écœuré, il décida de ne pas manger et se traina difficilement jusqu’à sa chambre. Il mit une tenue un peu moins stylée –pantalon en lin et chemisette légère à carreaux- et s’installa à son bureau. Il mit sa chaîne hifi en marche pour y mettre une compilation d’Idoles. Il se plongea ensuite dans la relecture de ses cours. Il était déjà 22h quand il leva la tête de son cours. Il avait beau se concentrer au maximum, il n’arrivait à apprendre quoique ce soit concernant cette partie de l’anatomie féminine. Il lui fallait plus d’explication. Vu l’heure, il aurait le temps d’aller chercher de la documentation sur le sujet à la bibliothèque et ne croiser que peu de personnes. Il se mit donc en route, sans s’attendre le moins du monde à ce qui allait se passer.


Il arriva à la bibliothèque en ne croisant qu’une seule personne, un élève de Trèfle, le 3, Hanabira, qui lui adressa un sourire amical accompagné d’un signe de tête cordial. Il entra dans la grande pièce remplie de longues étagères pleines de livres. La salle semblait vide. Parfait. Il ne voulait pas avoir à se justifier des lectures qu’il empruntait. Il se dirigea vers la section scientifique. Très vite, il entendit un murmure, une voix cristalline, un chant timide mais très mélancolique. Il ne parvenait pas à reconnaître le propriétaire de la voix. Sa curiosité, qu’il contenait habituellement très bien, le poussa à s’approcher de la source de la mélodie. Le ton se faisait de plus en plus faible, et étouffé. Et au détour d’une étagère, il eut la seule vision à laquelle il ne voulait pas assister : Akira, son visage angélique recouvert de larmes, le bras posé sur la table, une lame appuyée sur les veines de son poignet et le sang s’écoulant lentement du bras du 6 de Pique. Sekai sentit son propre sang ne faire qu’un tour. Une immense colère bouillonna en lui, et des mots sur lesquels il n’avait aucun contrôle sortirent de sa bouche :


« Et tu penses que c’est en étant lâche que ta peine va s’arrêter ?? »


Il s’approcha rapidement d’Akira, lui prit la lame, posa sa main sur la blessure et souleva de sa main libre le visage trempé du jeune homme.


« Tu crois vraiment que ça réglera tes problèmes ?? Tu ne tiens donc absolument pas à la vie ?? Rien ne te retient ici ?? Tu n’as aucune ambition ?? »


Les questions défilaient dans l’esprit de Sekai, sans qu’il ne puisse arrêter son flux de paroles. Il ne parvenait pas à stopper sa colère, et serra sa main sur la blessure, autant pour limiter l’écoulement du sang que pour faire réagir Akira.

C’était la fin. Il allait mourir lentement, le laissant voir quelques derniers instants de sa misérable existence, sa vision se troublant à cause de ses yeux embués. Comment en était-il arrivé là… Tout était de la faute de Sekai. Il n’y avait pas d’autre responsable. Mais maintenant, cela n’avait aucune importance. Tout était fini. Akira ne ressentait plus rien dans son bras. Son sang perlait le long de la table, s’écoulant lentement. Le jeune garçon n’entendait plus que le son des gouttes dans la petite flaque écarlate qui commençait à se former. Il ne faisait que regarder face à lui dans le vague, attendant que tout son liquide vital quitte son corps pour enfin le libérer de cette vie. Mais vraisemblablement, ce n’était pas ce que les puissances divines souhaitaient. Elles devaient certainement le voir souffrir encore afin qu’il se détruise un peu plus. Alors qu’Akira pensait être seul pour pouvoir partir dans le calme et les larmes qui ne voulaient décemment pas s’arrêter de couler le long de son visage, une voix le sortit de toute réflexion.

« Et tu penses que c’est en étant lâche que ta peine va s’arrêter ?? »

Dans une vivacité impressionnante pour Akira en vue de l’état dans lequel il se trouvait, le nouvel arrivant vint rapidement jusqu’à sa hauteur et lui arracha sa lame des mains tout en posant l’une des siennes sur la plaie sanglante de son poignet, lui arrachant une légèrement grimace de douleur. Visiblement, son bras n’était pas encore totalement engourdi. Le jeune garçon sentit alors son visage se relever et ses prunelles turquoises se perdirent dans le regard de son « sauveur ». Et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit qui venait l’empêcher de mettre fin à ses jours. Sekai, encore lui, toujours lui. Pourquoi fallait-il qu’il soit là à ce moment précis… Les yeux du 6 de Pique s’écarquillèrent légèrement de surprise à la vue de la Reine, ses larmes s’arrêtant brusquement de perler tout en gardant cependant leur place sur le visage du plus jeune des deux garçons. Son bras était parcouru de picotements alors que sa main tremblait quelque peu, celle de Sekai toujours sur la plaie. Il ne devait pas avoir envie de la retirer de sitôt. Jamais Akira n’aurait pensé le trouver ici, et encore moins qu’il l’empêche de commettre l’irréparable. Il n’avait même plus la force de retirer son bras ou même de bouger. Son stress avait refait surface et son rythme cardiaque ne cessait de s’accélérer, amplifiant sa perte de sang, mais Sekai n’avait pas l’air de vouloir abandonner. Ce dernier renchérit de nouveau, apparemment énervé.

« Tu crois vraiment que ça réglera tes problèmes ?? Tu ne tiens donc absolument pas à la vie ?? Rien ne te retient ici ?? Tu n’as aucune ambition ?? »

Des ambitions ? Quelles ambitions ? Tout était parti en fumée lorsqu’il avait découvert ses cicatrices. Tous ses espoirs, tous ses fragments de rêve… Plus rien ne le raccrochait à la vie. Il n’avait plus aucune raison de rester en vie. Akira aurait voulu détourner sa tête mais Sekai lui maintenant son visage pour qu’il le regarde. Son expression habituellement froide et asociale était tombée, il n’était plus qu’un enfant égaré, presque apeuré. Sa faible voix symphonique réussit à peine à sortir du fond de sa gorge, le rendant presque plus vulnérable.

« C’est votre faute… Vous n’aviez pas à… vous mêler de mes affaires… Pourquoi avez-vous fouillé… dans ma vie… Ca ne vous regarde pas ce que je fais… »

Il aurait tellement voulu le repousser, le faire le lâcher. Mais toute sa force l’avait abandonné. Il n’arrivait même plus à être aussi glaciale avec lui qu’il l’avait été lorsqu’il avait découvert son secret. Sekai était à porter de main, il serait facile de lui infliger un coup dont il se rappellerait pour longtemps. Mais Akira n’arrivait même plus à bouger. Ses larmes refirent surface alors se ses yeux se fermèrent. Son supérieur le touchait une fois de plus, et de façon très prolongée cette fois. Des frissons lui parcouraient tout le corps. Il ne supportait vraiment pas le contact humain. Prenant quelques forces enfouies au plus profond de son être, le Préparateur essaya de prononcer de nouveau quelques mots de sa voix frêle et tremblante.

« Laissez-moi… Vous avez eu ce que vous vouliez non ? Mon humiliation ne vous suffit-elle pas ? Rendez-moi ma lame et partez… Je ne recommencerai pas… Allez-vous en… »

Bien sûr ceci n’était pas la vérité. Sitôt qu’il lui aura rendu son bien et quitté les lieux, il reprendra là où il avait été interrompu. Mais il savait que Sekai ne le laisserait pas faire, mais il fallait tout de même qu’il essaye de le convaincre. Pourquoi s’intéressait-il autant à lui ? Ca l’amusait donc tant que ça de voir le jeune garçon plus bas que terre ? Qu’est-ce que cela pouvait lui faire qu’il meurt ? Il lui trouverait certainement un remplaçant rapidement. Akira garda ses yeux clos, n’osant plus croiser le regard de la Reine de sa couleur. Etrangement, il se sentait affreusement honteux qu’il puisse le voir dans un état de faiblesse aussi flagrant. Alors qu’il s’était fait une image d’être de glace sans qu’aucune émotion ne puisse percer sa carapace, voilà que quelqu’un avait découvert son secret le plus intime. Tout ceci était véritablement embarrassant pour Akira. Jamais plus on ne le regardera de la même manière. Jamais plus il ne regardera le monde de la même manière. Jamais plus il ne pourra faire face aux jours du quotidien de la même manière. Jamais plus… il ne pourra vivre comme avant. Sekai lui avait volé la seule image qu’il avait réussi à se confectionner. Il n’arriverait certainement pas à reprendre le dessus à présent. Il devrait se contenter de subir le regard des autres à son égard, devant supporter la pression de la vie sur ses épaules alors que tout aurait pu prendre fin. C’est donc presque collé à Sekai qu’il attendit qu’il lui remette son objet fétiche ainsi que la liberté de pouvoir se mouvoir sans contrainte, espérant qu’il veuille bien le laisser dans son éternelle solitude.

Sekai sentait les pulsations du sang sous la main qui colmatait la blessure. Il avait entendu Akira murmurer quelques paroles faiblement, lui demandant de le laisser tranquille. Il lui avait promis de ne pas recommencer à se faire du mal. Sekai n’y croyait absolument pas. Il savait très bien qu’une fois le dos tourné, le jeune Préparateur reprendrait son petit manège et se laisserait se vider de son sang. Il savait parfaitement comment cela se passerait s’il laissait le 6 de Pique seul, il le savait car il l’avait vécu lui-même après la mort de sa mère.


Sa colère bouillait toujours en lui. Il ne supportait pas de voir le jeune Pique dans cet état. Mais Sekai fût pris de doutes affreux. Comment pouvait-il aider le Préparateur alors qu’il n’avait toujours pas fait son propre deuil ? Il était toujours tourmenté par ses propres fantômes, il ne voyait pas ce qu’il pouvait faire pour secourir Akira. Mais c’est précisément lorsqu’il se posa cette question que son regard se plongea dans celui du jeune Pique, complètement rempli de larmes. Sekai comprit soudain qu’il ne fallait pas qu’il se limite à sa propre expérience. Le jeune Préparateur appelait inconsciemment à l’aide. Son aide. Sekai sentit ses tripes se nouer d’angoisse. Que devait-il faire ? Le regard toujours fixé dans celui d’Akira, il se laissa guider par son intuition.


« Crois-tu vraiment que je vais te laisser dans cet état ?? C’est mal me connaitre. Écoute-moi bien. Je n’ai pas pour habitude de prendre soin des gens. J’ai même tendance à dire que cela m’agace au plus haut point. Mais nous ne sommes pas aussi différents que tu sembles le penser, Akira. Comme moi, tu sembles t'opposer fermement à créer des liens avec les gens. Comme moi, tu fais l’hypocrite pour qu’on ne cherche pas à savoir qui tu es vraiment. Comme moi, tu te mutiles pour ressentir ne serait-ce qu’un instant que tu es vivant. »


Sekai accentua sa pression sur la blessure, pour insister sur le dernier point. Oui, Sekai s’était mutilé pendant quelques années. Il n’en avait jamais parlé à personne. Durant la période qui suivit la mort de sa mère, Sekai et ses sœurs furent trimballés -oui, c'est bien le mot- de famille en famille. Sekai n'arrivant pas à faire le deuil de sa mère avait trouvé comme seul exutoire de se mutiler l'intérieur des cuisses, endroit que personne ne pourrait découvrir. Cette expérience fut très longue et ses cicatrices resteraient toute sa vie. C'était grâce à Akizumi que Sekai avait arrêté. Il sentait les larmes lui monter aux yeux. Mais il ne devait pas se laisser aller et rester ferme devant le 6 de Pique.


« Je te laisse le choix : je peux te laisser là et répandre la rumeur que tu te mutiles, au risque que tu dévoiles mon propre secret. Ou alors, tu me laisses t’aider, et je garderais pour moi tout ce que je sais sur toi. Je sais que c’est du chantage. Mais comme tu le vois, je mets en jeu mon propre secret afin de te prouver ma bonne foi. Tu as maintenant toutes les cartes en main. Je te laisse choisir … »

Alors qu’il pensait pouvoir s’en être débarrassé, Sekai ne le crut absolument pas et se lança dans un discours qu’Akira n’écouta que d’une oreille. Malgré le fait que la Reine de Pique maintenait fermement le poignet du Préparateur, sa blessure saignait toujours du fait du stress envahissant le plus jeune des deux hommes. Son état ne lui permettait pas d’écouter les paroles de Sekai comme il aurait pu le faire d’habitude. Mais ses mots lui parvinrent tout de même, même s’il lui fallut plusieurs minutes afin d’en comprendre le sens. Apparemment, son supérieur avait pris l’habitude de tutoyer Akira, ce qui ne le gêna plus vraiment. Il s’en fichait même, c’était tout à fait normal qu’un de ses supérieurs le tutoie. Chez certains, cela le dérangerait, mais pour ce qui concerne la Reine, ça n’avait aucune importance qu’il le vouvoie ou non. D’après ce qu’il disait, le jeune homme et lui n’étaient pas différents. Ce n’était que paroles en l’air. Akira savait qu’il n’en pensait pas un mot, que c’était seulement une ruse, un stratagème pour lui faire cesser ses scarifications. Quelle méthode fourbe et hypocrite. Il pouvait l’accuser d’être tous les défauts du monde, mais il n’était mieux. Il était impossible de lui faire confiance. Mais Akira l’écouta tout de même jusqu’au bout, pensant qu’il arriverait à se lasser pour finalement quitter la pièce. Mais le jeune garçon gémit alors faiblement de douleur en réprimant mal une légère grimace lorsque Sekai appuya sur sa blessure. Visiblement, sa dernière phrase devait avoir une quelconque importance ou devait lui faire un effet particulier. Il reprit les dires de son supérieur direct dans sa tête afin de voir ce qui aurait pu être si capital.

Au bout d’une demi-minute, Akira réussit à comprendre ce qui aurait pu le marquer. Sekai se serait mutilé lui aussi ? Sottises. Il ne cherchait qu’à l’embrouiller pour qu’il arrête de se faire du mal. Mais en reportant son regard dans celui de la Reine de Pique, il fut absolument tétanisé. Il arrivait à percevoir une sorte de confiance impressionnante, de détermination sans limite. La voix du jeune homme semblait faite pour maintenir ses paroles dans les esprits. Plus Akira l’écoutait, plus il pensait que ce qu’il lui disait pouvait être vrai. Mais il ne devait pas se laisser berner. L’autre devait utiliser la même stratégie pour arriver à ses fins. Mais Sekai continua une nouvelle fois, insistant sur son chantage. En effet s’en était, mais pourquoi faisait-il cela ? Etait-ce vraiment la vérité tout ce qu’il venait de lui dire ? Est-ce qu’ils étaient vraiment pareils, du moins sur ce point ? L’esprit d’Akira était totalement embrouillé. Que devait-il faire ? Lui faire confiance ? Le laisser « l’aider » ? Mais pourquoi son supérieur mentirait sur le fait qu’il puisse se mutiler ? Etait-ce pour inciter Akira à divulguer cette information qui en fait se révèlerait fausse afin de le plonger dans le ridicule et l’humiliation ? Mais il n’était pas un parasite de journaliste. Jamais il ne ferait ça et il savait que Sekai n’était pas si ignorant pour omettre ce genre de détail. Donc ce qu’il disait serait vrai ? Pouvait-il vraiment lui faire confiance ?

« Je te laisse choisir … »

Jamais ces paroles ne lui avaient été dites par l’un de ses supérieurs. Ces derniers lui ordonnaient toujours nombre de tâches à exécuter sans jamais lui demander son avis. Pour la première fois, on lui laissait le choix. Akira maintint son regard dans celui de Sekai, une once de reconnaissance dans ses yeux tandis qu’une larme vint de nouveau prendre place le long de sa joue. Mais elle était gorgée de bonheur. Pour la première fois, quelqu’un s’intéressait à lui. Pour la première fois, on voulait le comprendre. Pour la première fois, il se sentait heureux. Akira baissa alors sa tête, reprenant une faible voix tremblante, mais gardant tout de même un ton mélodieux.

« Je ne sais pas pourquoi vous faites ça… Pourquoi vous voulez m’aider… Et ça ne me regarde sans doute pas… »

Il releva alors lentement sa tête pour replonger son regard turquoise dans celui de Sekai.

« Je vais tenter… de vous faire confiance… Mais sachez, qui si vous trahissez votre parole, et que le reste du campus est au courant… Je vous promets de vous retrouver, et de vous le faire regretter… Soyez-en sûr… »

Il le regarda alors de façon glaciale, voulant lui faire comprendre qu’il était on ne peut plus sérieux. Il ne fallait pas que Sekai croie qu’il était tiré d’affaire uniquement parce qu’il acceptait son « aide ». Il voulait que la Reine sache qu’il restait tout de même celui qu’il avait rencontré la première fois, un garçon froid, distant et asocial. Reste maintenant à savoir si l’autre acceptera ses conditions ou s’il se défilerait la queue entre les jambes.

Après lui avoir laissé le choix, Sekai fixa son regard dans celui d’Akira et plongea dans ses grands yeux bleus turquoise. Il espérait au plus profond de lui-même que le 6 de Pique comprenne sa bonne foi. Il désirait réellement aider Akira, même si à l’heure actuelle, il ne savait pas encore trop comment il s’y prendrait. Les joues du préparateur, rosies par la douleur et la peine, étaient à moitié séchées lorsqu’une nouvelle larme, seule et unique quitta l’œil humide d’Akira pour se laisser tomber sur son bras. Le jeune homme baissa la tête et murmura avec une voix très faible :

« Je ne sais pas pourquoi vous faites ça… Pourquoi vous voulez m’aider… Et ça ne me regarde sans doute pas… »

Sekai ne l’interrompit pas. Le plus jeune des deux hommes releva lentement la tête vers la Reine de Pique, et le fixa intensément, son regard mêlant peur, appréhension, joie, colère, défi –oui, autant de sentiments que Sekai ne parvenait à définir qu’avec beaucoup de difficulté. Le Vice-président voyait qu’Akira semblait vouloir reprendre le dessus sur sa peine, et reprit un minimum de constance.

« Je vais tenter… de vous faire confiance… Mais sachez, qui si vous trahissez votre parole, et que le reste du campus est au courant… Je vous promets de vous retrouver, et de vous le faire regretter… Soyez-en sûr… »

Sekai analysa avec une vitesse effrayante pour quelqu’un qui ne le connaissait pas ce que venait de dire le Préparateur de Pique. Trahir sa parole ?? Pourquoi faire ?? Qu’est-ce que cela pouvait bien apporter à la Reine de Pique de dévoiler ce secret aussi gênant pour Akira que pour lui-même ?? Il resta silencieux un moment, cherchant ses mots, afin de bien se faire comprendre du jeune homme. Mais voyant qu’aucune réponse ne le satisfaisait, il suivit son intuition et laissa son instinct dicter ses mots.

« Je ne te demande pas forcément de me faire aveuglément confiance. Tu sais aussi bien que moi que faire confiance aux humains n’apporte que des souffrances toutes aussi dures à encaisser les unes que les autres. Je veux juste que tu comprennes que tu n’as rien à craindre de ma part. Je ne cherche pas forcément à créer un lien d’amitié inébranlable, ce genre de chose fini toujours mal de toute façon, mais je veux que tu saches que tu peux compter sur moi, si tu as besoin de quelque chose. Dis-moi ce que tu veux ? Quelles sont les choses qui te feraient te sentir vivant ? Comment puis-je t’aider ? »

Pendant toute sa tirade, Sekai n’avait pas quitté les yeux d’Akira, cherchant à attirer son attention. Mais le jeune homme resta un long moment dans ses pensées, comme plongé dans une transe, une lutte interne entre deux personnalités. Sekai sentait les pulsations sanguines ralentir doucement. Akira semblait se calmer lentement. Mais était-ce bon signe ?

Akira ne savait plus vraiment quoi penser. Comment pouvait-il être certain que Sekai ne trahirait pas sa parole ? Pourtant, quelque chose lui disait qu’il ne lui mentait pas. Mais la confiance ne doit pas aller que dans un seul sens. Le jeune Préparateur était sûr que s’il s’ouvrait trop, ou s’il ne faisait pas attention, sa confiance volerait en éclat ainsi que son mental. Il ne fallait pas qu’il s’attache au monde extérieur et visiblement son supérieur pensait la même chose. Akira écouta ses dires attentivement, et à mesure que les paroles de la Reine de Pique arrivaient jusqu’à ses oreilles, il sentait son rythme cardiaque ralentir progressivement, se calmant petit à petit.

« Je ne te demande pas forcément de me faire aveuglément confiance. Tu sais aussi bien que moi que faire confiance aux humains n’apporte que des souffrances toutes aussi dures à encaisser les unes que les autres. »

Au moins ils étaient d’accord tous les deux sur la même chose : la confiance n’entraîne que la souffrance. Mais il existe tout de même des exceptions. Comment Akira pouvait savoir si Sekai était l’une d’entre elles ou non ? La voix du jeune homme n’était plus qu’une sorte de doux murmure, apaisant quelque peu l’état dans lequel se trouvait le 6 de Pique.

« Je veux juste que tu comprennes que tu n’as rien à craindre de ma part. Je ne cherche pas forcément à créer un lien d’amitié inébranlable, ce genre de chose fini toujours mal de toute façon. »

Un lien d’amitié inébranlable ? C’était l’une des choses les plus rares en ce monde et comme il venait de le dire, cela ne se termine généralement pas avec de jolis oiseaux qui gazouillent dans le ciel bleu où aucun nuage n’aurait sa place. Pour le moment il n’y avait pas grand chose de rassurant dans toutes les paroles de Sekai, on aurait plutôt prétendu à un sermon qu’à une toute autre chose. Mais celles qu’Akira entendit juste après tout ceci le firent se demander s’il avait bien entendu.

« Mais je veux que tu saches que tu peux compter sur moi, si tu as besoin de quelque chose. »

Que venait-il de dire ? Etait-ce la réalité ? Ou bien n’était-ce là que le fruit de ses séquelles causées par la perte de son sang ? Avait-il rêvé ? Ca ne pouvait pas être vrai, c’était tout simplement impossible. Pourtant, Sekai renchérit de nouveau, ne lui laissant pas le temps de souffler sur les quelques informations qu’il venait de lui fournir.

« Dis-moi ce que tu veux ? Quelles sont les choses qui te feraient te sentir vivant ? Comment puis-je t’aider ? »

Le cœur du jeune garçon rata un battement. C’était tout bonnement invraisemblable que quelqu’un puisse se préoccuper de son cas. Mais pourtant ce qui venait de se produire. Le regard du Préparateur, qui n’avait toujours pas quittait celui de Sekai, s’embua alors de plus en plus, laissant par la suite perler une larme le long de sa joue. Il n’avait pu la retenir et bientôt d’autres la suivirent. Akira n’arrivait pas à retenir ses pleurs, sans qu’aucun son ne franchisse sa barrière de chaire. Après être resté plusieurs minutes à le regarder, le plus jeune s’approcha alors de la Reine pour venir se loger dans ses bras, blottissant sa tête tout contre son torse. Quelques sanglots commencèrent alors à se faire entendre faiblement. Akira vint agripper le haut du garçon, comme s’il désirait ne plus vouloir le lâcher, trop effrayé à l’idée qu’il le laisse seul, qu’il l’abandonne. A cet instant, il ne voulait plus le quitter. Il aurait voulu toujours rester dans cette position, contre Sekai, le seul qui venait de lui proposer son aide. Il aurait voulu dire quelque chose, n’importe quoi pour qu’il reste encore, mais rien ne parvint à sortir du fond de sa gorge. Il n’y eut qu’une seule chose qui réussit à exprimer ce qu’il venait de ressentir jusqu’au plus profond de son être. Une chose qui, dans un faible murmure, parvenait à résumer intégralement les sentiments naissants du jeune Pique. Un mot, un simple mot, mais qui surpassait à lui seul des milliers de phrases. C’est donc en pleur, de façon presque imperceptible mais où l’on ressentait la moindre parcelle de tendresse, avec une infime voix de clochette symphonique, qu’Akira parvint à dire :

« Merci… »

La Reine de Pique était mal à l’aide. Non pas de se retrouver ici, seul, tard le soir avec un des élèves dont il était responsable. Non pas d’avoir découvert un secret chez le Préparateur qui le mettait autant en danger que lui-même. Non, rien de tout ça. Il se sentait mal car il comprenait ce que traversait le jeune homme. Son regard toujours fixé dans celui d’Akira, Sekai vit une larme, suivie par ses consœurs, envahir le visage si pâle du Préparateur de Pique. La tristesse qui se dégageait de son regard saisit Sekai en plein cœur, et il lui fût difficile de rester impassible devant tant de détresse. Au bout de quelques longues minutes où les deux jeunes hommes se dévisageaient intensément, Akira esquissa un geste vers le Vice-président et s’approcha de lui. Il se colla contre son torse –Sekai dû lâcher le poignet du jeune homme, vu sa position par rapport à la table- et s’agrippa à sa chemise, enfouissant son visage dans le vêtement, et il laissa aller ses larmes, pleurant silencieusement.


Sekai détourna le visage, rougissant de la situation. Il n’avait pas l’habitude d’avoir quelqu’un dans les bras, et ne savait pas se comporter dans ce genre de situation. Maladroitement, il enlaça Akira, entourant le corps du Préparateur, mais ne sachant pas où poser ses mains. Une personne qui aurait regardée la scène de l’extérieur se serait mise à penser que Sekai n’était vraiment pas fait pour les contacts physiques avec les gens. Ses gestes maladroits, son regard gêné, ses joues rougissantes, tout montrait son malaise. Sekai se souvint d’une scène plus ou moins similaire, un jour où Akizumi avait découvert les mutilations que le Vice-président s’infligeait sur l’intérieur des cuisses. Akizumi avait tenu un discours assez similaire à celui qu’il venait de tenir à Akira. Aki-chan avait été un soutien important pour Sekai. Ce dernier désirait ardemment rendre la pareille au 6 de Pique, et l’aider à apaiser sa peine et son mal-être.


Sekai sentait les sanglots d’Akira contre son torse. Il s’accrochait à son vêtement comme si sa vie en dépendait, et son souffle chaud contre son torse donnait l’impression à Sekai que le Préparateur évacuait sa douleur progressivement. Sans vraiment qu’ils s’en rendent compte, ils restèrent dans cette position de longues minutes, mais Sekai la trouva agréable. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas senti utile pour quelqu’un. Il ferma les yeux, et se laissa porter par les pleurs d’Akira, qui trempait abondement le haut de la Reine de Pique. Puis, avec sa voix claire mais couverte par ses pleurs, Akira finit par chuchoter :


« Merci … »


Le mot d’Akira résonna en Sekai de longues secondes. Il senti plusieurs vagues de frissons le parcourir. Il resserra son étreinte autour du corps du jeune homme, afin qu’il comprenne qu’il ne devait pas se faire de souci.


« Ne t’inquiète pas pour ce genre de choses. Je ne fais pas ça pour que tu me sois reconnaissant. Je veux juste être là pour toi, comme on a pu l’être pour moi quand j’en ai eu besoin. »


Il souleva le visage d’Akira, pour qu’il le regarde droit dans les yeux. Son regard plein de larmes attrista Sekai, chose qui le surprit. Il n’avait pas pour habitude de réagir aux états d’âme des élèves qu’il fréquentait. Mais, sans vraiment comprendre pourquoi, Akira était parvenu à briser une partie des blindages qu’il s’était forgé durant les années passées à la Pink Cage. Leurs deux visages étaient proches l’un de l’autre, chacun plongé dans le regard du deuxième. Une pensée traversa l’esprit de Sekai, qui l’effraya au plus haut point. Il détourna la tête et dit la première chose qui lui vint :


« Il va falloir aller nettoyer cette blessure. On va s’arranger pour faire ça dans un endroit où les gens ne sauront rien. Je vais passer à l’infirmerie chercher de quoi nettoyer la plaie. »

Les pleurs du jeune garçon résonnaient dans toute la bibliothèque, le silence y régnant les amplifiant. Akira resta tout contre le corps de son supérieur, n’arrivant pas à arrêter ses sanglots. Mais il fallait qu’il se reprenne, il détestait qu’on le voit dans un tel état de faiblesse, même s’il était extrêmement rare de le voir de la sorte. Mais le fait de se sentir autant démuni déstabilisait le Préparateur des Piques au plus haut point. Il tenta donc de se calmer pour que le haut de Sekai puisse tenter de sécher ne serait-ce qu’un peu. C’est alors que la voix de la Reine se fit entendre, le faisant ouvrir faiblement ses yeux.

« Ne t’inquiète pas pour ce genre de choses. Je ne fais pas ça pour que tu me sois reconnaissant. Je veux juste être là pour toi, comme on a pu l’être pour moi quand j’en ai eu besoin. »

Les paroles qu’Akira arrivait à percevoir le touchaient énormément. C’était véritablement la première fois que quelqu’un prenait soin de lui. Il ne savait pas comment se comporter ni quoi dire pour se montrer reconnaissant. C’était nouveau pour lui. Il avait l’impression qu’il entrapercevait la vie différemment, comme s’il renaissait tel un phœnix se réincarnant de ses cendres. C’est alors que Sekai lui releva délicatement son visage afin de pouvoir plonger son regard dans le sien. Les prunelles du plus jeune brillaient légèrement à cause des larmes versées plus tôt. En voyant la proximité maintenant très réduite entre eux, Akira ne put réprimer un rougissement. Mais étrangement il n’arrivait pas à se mouvoir. Le souffle chaud du plus grand des garçons lui caressait le visage, le faisant presque frissonner. Puis le plus âgé détourna sa tête, visiblement embarrassé. Mais de quoi ? Akira ne le savait pas. Mais son supérieur renchérit peu de temps après.

« Il va falloir aller nettoyer cette blessure. On va s’arranger pour faire ça dans un endroit où les gens ne sauront rien. Je vais passer à l’infirmerie chercher de quoi nettoyer la plaie. »

Sekai était vraiment attentionné envers lui. Habituellement, Akira serait énervé d’avoir des contacts humains, autant physiques que verbaux. Mais avec la Reine de sa couleur, étrangement, cela ne le dérangeait pas, au contraire. Mais cela l’embrouillait d’une certaine manière parce qu’il n’était pas habitué à ce genre de choses. A part le remercier c’est tout ce qu’il pouvait faire. Akira sécha alors ses larmes grâce à l’une de ses paumes, essayant de reprendre un peu de contenance. Sa faible voix mélodieuse parvint à franchir le seuil de ses lèvres, mais difficilement tout de même. Mais il ne pouvait le regarder, honteux de s’être présenté à lui de cette façon. Il détourna donc lui aussi sa tête avant de pouvoir s’exprimer.

« Je vous remercie… Et je tenais… à m’excuser… Je vous fais perdre votre temps… Je vous promets de… ne pas recommencer… Ni de me montrer… aussi faible… devant vous… »

Il espérait pouvoir tenir sa parole. Mais il ferait tout pour y parvenir. Lorsqu’il promet quelque chose, ce qui n’est pas chose courante, il fait tout pour tenir sa parole. A partir de cet instant, il ne mutilerait plus. C’était un grand pas en avant pour lui. Il lui faudrait tout de même trouver un autre moyen de passer ses nerfs. Mais à l’heure actuelle, ce n’était pas le moment pour penser à cela. Il décida alors de se lever pour accompagner Sekai. Il n’allait tout de même pas rester dans la Bibliothèque en attendant qu’il revienne de l’infirmerie. Si jamais quelqu’un venait à entrer, ils seraient découverts et ils pouvaient être certains que ça ferait la une le lendemain dans la journal du campus. Mais en se relevant, un vertige le prit alors et il dût se retenir à la Reine pour ne pas tomber, se retrouvant une fois de plus dans ses bras. Cela devait très certainement être dû à sa perte de sang. Pourtant Akira ne voulait pas être un poids pour le jeune homme. Mais il se retrouvait contraint de prendre appuie sur lui pour pouvoir se déplacer. C’était pitoyable. Il espérait vraiment que l’autre garçon ne le prenne pas mal. C’était indépendant de sa volonté. Akira releva alors timidement sa tête pour le regarder, ayant à présent une expression quelque peu craquante sur le visage. Un regard un peu perdu et fébrile, de petites rougeurs sur ses joues blanches, une bouche entrouverte… Il ne le faisait pas exprès mais son état ne lui permettait pas de se comporter comme à son habitude. Il attendait donc patiemment que Sekai veuille bien le conduire à l’endroit dont il lui avait parlé, devant se reposer sur lui pour ne pas choir au sol.

« Je vous remercie… Et je tenais… à m’excuser… Je vous fais perdre votre temps… Je vous promets de… ne pas recommencer… Ni de me montrer… aussi faible… devant vous… »


Sekai le regarda un instant mais le jeune homme se leva un peu précipitamment et le Vice-président vit le Préparateur se tenir la tête, comme s’il était prit d’un vertige. Pour ne pas tomber, il s’accrocha au vêtement encore trempé de larmes de Sekai et se retrouva à nouveau collé au plus âgé des deux garçons. Sekai fût assez surpris par la situation, mais tenta du mieux qu’il pu de rester impassible. Akira releva lentement son visage vers celui de la Reine de Pique, les joues légèrement rosies, les yeux encore à moitié embués de larmes et la bouche entrouverte. Sekai rougit instantanément à cette vision, détournant le regard immédiatement. Quel lui arrivait-il ?? Il ne comprenait pas ses réactions. Il fallait qu’il se calme. Il ne devait pas commencer à laisser ses sentiments s’emballer. Akira avait besoin de son soutien à cet instant précis. Il devait se ressaisir. Non sans difficulté, il tenta de reprendre contenance. Son regard se fixa à nouveau dans celui d’Akira. Il semblait gêné de se retrouver dépendant de Sekai. Ce dernier comprenait parfaitement cette gêne. Il n’était pas évident de laisser quelqu’un nous prendre en charge. Sekai avait détesté les débuts de sa relation avec Akizumi car il ne supportait pas d’être autant dépendant de quelqu’un, mais ces moments privilégiés étaient tellement agréable, qu’il fini par apprendre à les apprécier.


« Ne t’excuse pas pour ça. Nous avons tous des faiblesses. S’il y a bien une personne devant qui tu peux laisser tes faiblesses ressortir, c’est bien moi. Je suis prêt à te montrer les miennes, si ça peut te mettre en confiance. »


Il ne savait pas vraiment comment il ferait, mais cette idée lui avait traversée l’esprit pendant qu’il parlait à Akira. Il devait prouver au Préparateur qu’il était prêt à mettre en jeu son secret afin de faciliter la confiance entre eux. Sekai était angoissé à l’idée de s’exposer ainsi. Il ne s’attendait pas à se retrouver dans une position de faiblesse dans laquelle il se serait volontairement mis. Mais il devait au minimum faire ça pour Akira. Ce dernier était dans un tel état de détresse que Sekai ne pouvait faire autrement. Il devrait certainement affronter ses propres angoisses, mais qu’importe. C’était le moins qu’il puisse faire.


Il regarda sa montre pour constater du temps qu’il lui restait, et élabora en un instant un planning chronométré à la seconde prêt du temps qu’ils leur restaient avant le couvre-feu de 23 heures. Il leur fallait un endroit où ils ne seraient pas dérangés. Son propre dortoir serait le plus sûr à cette heure de la soirée.


« Bien, voilà ce que je te propose : je vais passer à l’infirmerie, où je récupèrerais de quoi soigner tes blessures. Rejoins moi devant la porte du bâtiment D, et attend mon arrivée. J’y serais d’ici une vingtaine de minutes. Ca te laissera le temps de te reposer quelques instants ici avant de bouger. Ne t’inquiète pas pour le sang qui se trouve sur la table, je trouverais bien quelqu’un pour servir de coupable. »


Sekai regarda à nouveau Akira, plongeant délibérément dans le turquoise de ses yeux, et lui souri. Puis, ne désirant pas flancher devant le plus jeune des deux Piques, il prit la direction de la sortie. Il referma la porte de la bibliothèque, s’appuya dessus, le dos de sa tête contre le bois de la porte, et posa le revers de sa main sur ses yeux fermés. Il sentait ses larmes monter, et se retint du mieux qu’il pu pour les empêcher de sortir, se sentant sur le point de déborder de tristesse. Sekai était complètement retourné par les yeux implorants l’aide du 6 de Pique. Le voir dans cet état lui avait ramené encore plus de souvenirs, ceux qu'il pensait enfoui au plus profond de son être. Il ne voulait pas que ces souvenirs viennent à nouveau le hanter. Il avait mis tellement de temps à s'en remettre...


Il ouvrit les yeux d'un coup, redevenant le Vice-président au masque ne laissant pas transparaître ses véritables sentiments. On ne savait jamais, il aurait pu croiser un élève égaré à cette heure, le couvre-feu n'étant pas encore arrivé. Au bout d’une petite minute de réflexion rapide sur les nouveaux choix qui s'offraient à lui, il se reprit du mieux qu’il pu et se dirigea vers l’Infirmerie.

Akira se sentait vraiment faible. Jamais il n’aurait pensé se retrouver dans un tel état devant une autre personne. C’était tellement embarrassant. Mais visiblement, Sekai n’était pas de cet avis, au contraire. Il pensait que c’était la meilleure solution pour exorciser ses démons. Mais était-ce vraiment le cas ? Qu’adviendra-t-il si jamais le Préparateur n’arrivait pas à changer ? Y aurait-il un plan de secours ? Connaissant la Reine de Pique, sûrement. Mais avait-il déjà été confronté à ce genre de situation ? Vu le comportement qu’il avait adopté certainement pas. Akira devait donc tout faire pour se ressaisir et ne pas décevoir l’homme qui venait de lui prouver que la confiance peut s’établir au sein des humains. Du moins il l’espérait. Il fut ensuite sorti de ses pensées par les paroles de Sekai, douces et rassurantes à la fois.

« Ne t’excuse pas pour ça. Nous avons tous des faiblesses. S’il y a bien une personne devant qui tu peux laisser tes faiblesses ressortir, c’est bien moi. Je suis prêt à te montrer les miennes, si ça peut te mettre en confiance. »

A l’entente de ces mots, Akira ne put s’empêcher de se sentir soulager d’un lourd fardeau. S’il avait besoin de se confier, ou tout simplement de parler à peu près normalement, il savait qu’il pourrait compter sur son supérieur. Cette option lui réchauffa le cœur. C’était bel et bien la première fois que quelqu’un s’intéressait à lui de cette manière et par la même occasion, c’était la première fois qu’Akira pouvait sentir un semblant de bonheur et de joie se former dans son être. Il fallait avouer que ce n’était pas désagréable. Et puis d’après ce que Sekai venait de lui dire, il était même prêt à lui dévoiler une part de ses souffrances. Cette attention le toucha énormément. Le 6 de Pique devait impérativement tout faire pour ne pas le décevoir, sinon il s’en voudrait durant toute sa misérable existence. C’est alors que le plus vieux des deux garçons regarda sa montre. Quelle heure pouvait-il être ? Akira avait l’impression que cela faisait une éternité qu’ils étaient restés tous les deux enlacés. Un frisson le parcourut alors tout le long de l’échine. Enlacés ? Ils étaient bien enlacés ? Lui qui habituellement détestait les contacts humains, cette fois-ci il s’était lui-même jeté littéralement dans les bras de Sekai. Que lui arrivait-il ? De tels changements de comportement pouvaient-ils déjà se faire ? Mais il n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage que son supérieur intervint.

« Bien, voilà ce que je te propose : je vais passer à l’infirmerie, où je récupèrerais de quoi soigner tes blessures. Rejoins-moi devant la porte du bâtiment D, et attends mon arrivée. J’y serais d’ici une vingtaine de minutes. Ca te laissera le temps de te reposer quelques instants ici avant de bouger. Ne t’inquiète pas pour le sang qui se trouve sur la table, je trouverais bien quelqu’un pour servir de coupable. »

C’était lui qui allait le soigner ? C’était vraiment le comble. Le jeune garçon avait vraiment l’impression d’être un poids. Mais son regard ne pouvait se détacher de celui de l’homme aux cheveux bleus. Il avait le sentiment qu’il pourrait s’y perdre pendant des heures sans jamais s’en lasser. Un léger rougissement vint alors élire domicile sur ses joues. Mais maintenant qu’il y pensait, quelque chose vint le tracasser. Le bâtiment D ? Jamais il n’avait pu y pénétrer en sachant qu’il était réservé aux membres du club Meisei. Il allait donc y rentrer ? Et dans la chambre de Sekai qui plus est ? Si quelqu’un lui avait dit que cela lui arriverait un jour, il aurait certainement rit au nez de cette personne de façon on ne peut plus moqueuse. Et puis ensuite, l’idée qu’un autre élève prenne une sanction à cause de son sang retrouvait sur la table ne l’enchantait guère. D’ordinaire, qu’un autre élève se fasse prendre pour avoir commis une infraction, cela ne le regardait pas et même il s’en fichait éperdument. Mais que quelqu’un d’autre que lui se fasse sanctionner à sa place, il était déjà plus réticent à cette idée. Akira est tout de même un garçon avec la tête sur les épaules. Il prend très à cœur ses responsabilités et ne les fuit sous aucun prétexte. Comment allait-il bien pouvoir se sortir de ce pétrin ? Il y réfléchirait lorsqu’il irait mieux. Pour le moment, il observa Sekai quitter la pièce et resta immobile pendant plusieurs minutes, se demandant s’il n’avait toujours pas rêvé. Mais c’était la réalité, il n’y avait pas de doute possible.

Il reprit peu à peu ses esprits, se décidant à bouger et reprit au passage sa lame fétiche que la Reine avait dû oublier en partant. Il ne se mutilerait plus, il l’avait promis à son supérieur et il tiendrait cette promesse. Il fut tout de même obligé de mettre son bras contre son ventre pour empêcher que du sang ne se répande autour de lui jusqu’à former un chemin écarlate qui pourrait conduire n’importe qui jusqu’à la porte de chambre de Sekai. Et ça il ne le voulait pas. Il n’allait pas trahir involontairement son sauveur en ameutant les parasites de journalistes. Sa chemise d’un blanc éclatant commençait maintenant à devenir rubis sur son ventre, il fallait donc qu’il se dépêche à aller jusqu’au bâtiment D pour que personne ne puisse le voir. C’est donc d’un pas lent et quelque peu tremblant qu’il se dirigea vers ledit bâtiment, attendant ensuite patiemment que la Reine de sa couleur vienne le rejoindre.