Collision ==> [PV + Akira Fujiyoshi]

Sekai était à bout de nerf. Il revenait de l'Etage du Cavalier où il venait d'incendier Masami pour un acte de rébellion absurde à l'encontre de Kamui. Alors que la Reine de Pique avait été dans l'obligation de modifier son emploi du temps pour répondre à un caprice de son Président, il s'était retrouvé face à un jeune blondinet en colère qui, dans un acte de barbarisme frôlant l'insulte -du point de vue de Sekai-, avait déchiré la photo que désirait le Roi de Cœur. Sekai avait pu se délecter du visage déconfit de Masami lorsque la sanction fut annoncée par haut-parleur quelques instants après le "délit". Bien sûr, le petit frère d'Akizumi avait accumulé énormément de rancune envers Kamui, ce qui expliquait son geste, mais pour Sekai, cela ne justifiait pas le passage à l'acte. Lui qui était très à cheval sur le règlement, il ne supportait pas qu'on puisse le bafouer de la sorte, et avec autant d'aisance.


Plongé dans son mutisme habituel, il avait atteint la cafétéria sans rencontrer personne.


*Heureusement pour eux …*


Il était dans un tel état d’énervement qu’il s’en étonnait lui-même. Pourquoi s’être mis autant en colère ? Il n’avait pourtant aucune rancœur envers Masami. Même s’il n’était pas fan du Sept de Cœur, il ne le détestait pas pour autant. Il s’était approché du détecteur qui donnait accès au sas de séparation. Machinalement, il passa le dos de sa main devant le lecteur optique. Sur le petit écran, son nom apparu avec en complément : « RAS ». Il sourit, en se disant que Masami verrait apparaître un message lui indiquant qu’il était privé d’accès à cet endroit. La porte du sas s’ouvrit, et Sekai entra, légèrement moins agacé, puisque qu’il se savait en bien meilleure position que l’Echangeur Rouge.


C’était une grande pièce rectangulaire, où avaient été installées des tables et des chaises, sans aucun ordre précis. C’était contre le mur de droite que le self était accessible. Sekai s’avança vers celui-ci, et se mit à remplir son plateau. Il était 17h00. Certainement un peu tôt pour un dîner, mais il s’était mis en tête de rattraper son retard le soir même. La pièce était presque vide. Un groupe de filles s’étaient attroupées près d’une table où deux jeunes hommes buvaient un verre. Elles ressemblaient à de gros insectes attirés par les miettes que voudraient bien leur laisser les deux garçons.


*Pathétique …*


Il se dirigea à l’opposé avec son plateau, composé d’un laitage, une pomme et un jus de fruit. Sekai avait faim, mais ne voulait pas utiliser la nourriture comme exutoire à sa colère. Il prit le temps de choisir une table vide et éloignée des autres et s’y installa tranquillement. Il voulait profiter d’un moment de calme pour apaiser son esprit tourmenté. Il se mit à noter sur son calepin tout ce qui lui serait utile pour le reste de sa journée. Au bout d’un petit moment, il parut satisfait du nouveau programme pour sa soirée. Il ne se ressentait plus de colère, ni même de rancune envers Masami. Peu lui importait les soucis que le blond allait recevoir, cela ne concernait plus Sekai.


Désirant partir avant que l'endroit ne soit envahi par une multitude d'étudiants bruyant et agaçant, il ramassa tout ce qu'il avait étalé sur la table et se leva avec son plateau dans les mains. Il se retourna rapidement sans se rendre compte que quelqu'un se trouvait derrière lui. La collision fut impossible à éviter. Dans un fracas digne d'un accident -étrange vu le peu de choses présentes sur le plateau de Sekai- la Reine de Pique fut projeter en arrière et tomba contre la table, sur le dos. Sekai ressenti une très violente douleur au niveau des muscles qui longeaient sa colonne vertébrale et mit un certain temps à pouvoir s'asseoir correctement. Sa vision était trouble, il ne distinguait pas encore bien ce qui l'entourait mais il prit tout de même conscience de la présence de la personne avec laquelle il s'était cogné. Le jeune homme était lui aussi à terre, et semblait également peiner à se relever.

C'était une journée plutôt calme, du moins en apparence. L'heure de pointe des pensionnaires pour le déjeuner s'était étendue plus tard que d'ordinaire. Tout semblait s'accélérer en cuisine si bien que le pauvre Akira ne savait plus où donner de la tête. Les commandes commençaient sérieusement à s'amonceler mais le Préparateur arrivait toujours garder son sang-froid pour cuisiner tout ce qu'on lui demandait. On aurait pu croire à un grand restaurant ouvrant ses portes pour la première fois, les clients se regroupant comme des fourmis pour y manger une nouvelle variété de cuisine. Le jeune garçon était très serein et ne se laissait pas dépasser par le temps. Tous les plats arrivaient aux tables assez rapidement, le temps simplement de le préparer et surtout le temps de cuisson. Les mains expertes d'Akira lui permettaient de confectionner nombre de commandes en quelques minutes, mais la cuisson était ce qu'il y avait de plus long. Il fallait attendre et ça, les pensionnaires affamés ne pouvaient le supporter. Les heures passaient et le Six de Pique en voyait enfin le bout. Il pouvait se concentrer davantage sur ses préparations que se précipiter comme il le faisait durant les derniers instants de passage des étudiants. Nonobstant même s'il sa vitesse avait du augmenter pour le service, sa dextérité et son habileté grandissaient de même, de ce fait, personne ne pouvait se plaindre de ses oeuvres. La cuisson était réglée à la minute, voire à la seconde pour certaines occasions, les ingrédients étaient frais et justement dosés... Il n'y avait absolument rien à redire.


Un petit temps de pause était donc bien mérité. Akira soupira légèrement puis enleva son tablier blanc et le rangea à l'endroit approprié. Il se devait de le porter au risque d'enfreindre son propre règlement. En effet il était très strict envers lui-même si bien qu'il ne se laisse pas le temps de respirer, ou presque. Il se tapa quelque peu sur les cuisses, des fois qu’un peu de farine, ou autre ingrédient salissant aurait élu domicile sur ses vêtements. Une fois ceci fait, il réarrangea ses poignets en damier. Si jamais on venait à percevoir même infimement ses cicatrices, tous lui poserait un tas de questions, et ce qu’il n’appréciait pas particulièrement, c’était bien de répondre à la curiosité trop développée de ses " camarades ". Mais tout dépendait ensuite de la personne qui l’interrogeait. S’il s’agissait d’un de ces journalistes, il était certain qu’il les enverrait voir ailleurs sans trop de brusqueries pour éviter de se faire incendier dans le journal qu’ils rédigeaient.

L’après-midi était déjà bien entamée et le garçon partit se préparer un thé pour se calmer les nerfs de sa journée. Il savait qu’il devrait recommencer le soir pour le dîner, mais un temps de répit lui ferait le plus grand bien. Il partit donc choisir parmi les différentes spécialités de thé, celle qu’il préférait et parvint à la trouver en peu de temps, habitué à les servir aux autres. " Terre de Feu ", voilà comment il s’appelait. Même si à première vue on pouvait penser qu’il brûlerait ou quoique ce soit d’autre, en vérité il était très doux et agréable au palet. Constitué de fruits rouges et de rose, c’était une boisson très rafraîchissante. Une fois l’eau portée à ébullition, il s’en servit une tasse. Au début, Akira avait pensé le boire sur place, dans les cuisines, mais une étrange envie de le prendre à la cafétéria le fit changer d’avis. Il se dirigea donc vers cette dernière qui s’était rapidement vidée. Les lieux étaient calmes à présent et très reposants si on excluait les quelques cris enjoués de jeunes filles attroupées près d’une table où des garçons s’étaient installés. La fleur de l’âge pensa le Pique. Il était tellement obnubilé par ces gens qu’il ne remarqua pas qu’une personne venait de se lever pour partir. Ce n’est qu’en tournant la tête qu’il la vit, mais il était trop tard. Les deux se rentrèrent dedans et partirent à la renverse à l’opposé l’un de l’autre. Akira tomba en arrière, sa tasse bouillante se renversant sur sa poitrine, mais aucun son ne franchit le seuil de ses lèvres, ayant appris à souffrir silencieusement. Les larmes vinrent tout de même se loger aux coins de ses yeux, sans perler pour autant sur ses joues, lui rendant ainsi ses yeux brillants. Sa chemise blanche vint alors se coller à sa peau de même couleur, laissant entrevoir quelques courbes de son corps. Le jeune garçon réussit à reprendre ses esprits, assez difficilement il est vrai, puis porta son attention sur l’autre personne.

Il réussit alors à reconnaître qui elle était. Il s’agissait de la Reine de Pique, Kakumei Sekai. Rien que ça… Il venait de percuter l’un de ses plus hauts supérieurs… Il allait sûrement en pâtir. Il se releva alors puis vient se mettre devant le rescapé, une expression neutre sur le visage. Même s’il s’agissait d’un haut grade, il n’allait tout de même pas changer ses habitudes d’asocial. Il lui tendit alors sa main pour l’aider à le relever en prononçant quelques mots de sa voix de clochette.

" Vous vous sentez bien ? Je suis vraiment navré, c’est de ma faute… "

" Vous vous sentez bien ? Je suis vraiment navré, c’est de ma faute… "

Sekai mis quelques instants à reprendre correctement ses esprits. Son dos lui faisait extrêmement mal et il se sentait légèrement nauséeux. Il s'appuya contre la table et s'assit en se tenant le crâne. Il fixa l'individu qui venait de s'adresser à lui pour se rendre compte qu'il s'agissait d'Akira Fujiyoshi. Un Préparateur. Un Rang 6. Un Pique comme lui. Sekai était responsable, de par son Rang de Reine, des Rangs 4, 5 et 6. Il l'observa rapidement. Le jeune homme était bien proportionné, très agréable à regarder et son visage affichait une neutralité qui étonna le Vice-Président. Sa chemise blanche était trempé sur le devant et collait à sa peau, le liquide rendant le tissu assez transparent. Il avait du se renverser ce qu'il tenait dans les mains pendant la chute.


" Ça peut aller. J'ai juste très mal au dos. "


Sa voix était très grave à côté de celle d'Akira, si fluette et si douce. Il n'arrivait pas à se mettre en colère, surement parce qu'il n'avait pas fait attention en se levant et qu'il n'avait pas l'habitude de s'en prendre aux autres quand il était responsable d'une erreur. Mais la fin de journée frisait vraiment le pénible, et il n'avait qu'une hâte, c'était de rentrer prendre une bonne douche et de finir ce qu'il avait à faire. Mais il ne pouvait décemment pas partir en laissant son subordonné dans cet état. Il chercha son calepin, il était tombé aux pieds du Préparateur. Il s'avança vers lui, se baissa pour ramasser sa propriété et se retrouva debout devant le 6 de Pique. Il était un peu plus petit que lui, mais son regard teinté de turquoise fixait la Reine de Pique avec une impassibilité impressionnante. Le cuisinier ne semblait pas apeuré par la présence de Sekai, ce qui surprit ce dernier, ayant l'habitude de la réaction inverse, souvent accompagnée de bégaiements agaçants et d'excuses hypocrites.


" Fujiyoshi-san, vous ne pouvez pas rester avec vos vêtements trempés, vous donnez une mauvaise image des Préparateurs de cet établissement. Venez avec moi. "


Sekai ne voulait pas que le 6 de Pique pense qu'il s'inquiétait pour lui. Un autre Préparateur s'approcha. Sekai l'interpella et lui demanda de nettoyer ce qui se trouvait par terre. Ils se dirigèrent vers une petite pièce se situant à côté des cuisines, mais ouverte sur la cafétéria. Elle appartenait aux Reines, et leur servait de bureau d'appoint lorsqu'il y avait des préparatifs à faire en cuisine. Devant la porte, Sekai fit un signe de la main vers Akira.


" Attendez-moi ici. "


Sekai entra. La pièce était vraiment petite, mais bien rangée. Le Vice-Président mettait un point d'honneur à ce que les pièces destinées aux membres du Meisei soient parfaitement bien organisées. Composé d'un simple bureau en bois, qui supportait quelques piles de documents en attente de signatures, d'une étagère et d'un petit coffre fort, le bureau était calme mais sombre. Aucune fenêtre ne donnait sur l'extérieur.


* J'aurais dû venir travailler ici dès le départ, ça m'aurait éviter tout ces problèmes. *


Il chercha le carton contenant les tenues de rechange et l'ouvrit. Il sorti quelques chemises, étudia les différentes tailles et finit par sélectionner la taille S. Akira était vraiment bien fait, mais il restait un gringalet. Même si ce physique plaisait beaucoup au Vice-Président, il n'avait pas pour habitude de reluquer les étudiants sous sa responsabilité. Sekai rangea le carton à son emplacement, desserra légèrement sa cravate et soupira bruyamment. Il fallait y retourner. Il sorti donc de la pièce, ferma la porte à clé et tendit la chemise propre au Préparateur.


" Tenez. Allez vous changer. Et revenez me voir pour savoir si la taille vous convient. "

Une journée comme une autre, rien de plus banal, tout est ordinaire… Voilà ce qu’avait pensé le jeune Akira avant qu’un accident ne perturbe ses plans de tranquillité. Un simple accrochage dans la cafétéria avait réussi à faire fondre son semblant de bonne humeur. Qui plus est, il n’avait pas bousculé n’importe qui mais la Reine de Pique, son supérieur direct. Comment une journée comme celle-ci pouvait-elle empirer ? Simplement en se faisant ébouillanter vif. La tasse de thé qu’il s’était préparée venait de se renverser sur sa poitrine. Il pesta contre lui-même intérieurement pour avoir voulu sortir de ses cuisines. La prochaine fois il resterait à l’écart du peuple pour que rien de tout ceci ne se reproduise. Mais pour garder son image d’obéissant subordonné, il proposa son aide à Sekai tout en gardant une expression des plus neutre sur son visage d’ange. Comparée à sa voix symphonique, celle du jeune homme était beaucoup plus grave. Akira ne l’avait jamais entendu parler, à vrai dire il ne l’avait même jamais approché. Il se fichait éperdument de ce que pouvait bien faire un autre pensionnaire à la Pink Cage. Mais malgré le fait de rencontrer la Reine de sa couleur, il ne se sentait absolument pas nerveux ou anxieux, il voulait garder son image d’asocial froid et distant.

" Ça peut aller. J'ai juste très mal au dos. "

Comme si ceci était de sa faute. Bon, il fallait avouer qu’il venait de le percuter de plein fouet, donc techniquement, c’était bien de sa faute. Akira voulut dire quelque chose mais se retint pour ne pas paraître trop grossier aux yeux de son comparse. A peine avait-il eu le temps de le voir se relever que déjà l’autre garçon cherchait quelque chose. Il remarqua alors un carnet à ses pieds mais ne prit même pas la peine de bien vouloir le ramasser pour rendre service à Sekai. Déjà à re-confectionner son emploi du temps de mémoire, ce qui devait très certainement être le cas. Le jeune homme se retrouva alors debout face à lui. Il était légèrement plus grand que lui ce qui lui permettait de le regarder de haut. Du moins c’est ce que ressentait Akira. A cette pensée, ce dernier émit un faible soupire mais tout de même audible pour la personne se trouvant à proximité. Il n’avait de cesse de le fixer de manière impassible. Il n’allait tout de même pas baisser le regard sous prétexte que Sekai était la Reine. Il ne se rabaisserait pas à ça. Soudain, les pensées du plus jeune furent perturbées par de nouvelles paroles du garçon.

" Fujiyoshi-san, vous ne pouvez pas rester avec vos vêtements trempés, vous donnez une mauvaise image des Préparateurs de cet établissement. Venez avec moi. "

Fujiyoshi-san ? C’était bien la première fois qu’un de ses supérieurs l’appelait de la sorte. Il était habitué à entendre ce nom de ses propres subordonnés mais il les corrigeait toujours pour qu’on l’appelle par son prénom. Il détestait se sentir supérieur à quelqu’un. Il avait une sainte horreur de devoir donner des ordres aux rangs inférieurs. Il demandait donc poliment ce dont il avait besoin pour que ses requêtes soient prises comme des services et non des ordres purs. Akira dut donc suivre le jeune homme et arriva devant une salle juxtaposée à la cafétéria. Comme cette dernière est réservée aux Reines, donc jamais il n’avait pénétré à l’intérieur. Il se moquait complètement de ce qu’elle pouvait contenir. Le jeune garçon n’était pas un de ces journalistes qui fouinaient absolument partout pour chercher quelque chose de croustillant à conter dans le journal du campus. On lui demanda donc de bien vouloir attendre à l’extérieur. Akira attendit donc que Sekai soit entré pour poser ses mains sur ses hanches en soupirant, le regard porté sur le fond du self.

¤ Pourquoi moi… Je sortirai plus jamais de ma cuisine… ¤

Peu de temps après, la Reine de Pique ressortit avec une chemise propre et la tendit au Préparateur. Celui-ci aurait voulu la prendre et partir directement sans un mot de plus, mais les dires de son comparse l’en empêchèrent.

" Tenez. Allez vous changer. Et revenez me voir pour savoir si la taille vous convient. "

Le concerné ne regarda même pas aux alentours pour savoir si quelqu’un les regardait et commença à déboutonner sa chemise humide. Il avait tout de même baissé sa tête pour ne pas regarder Sekai, non pas qu’il était honteux de dévoiler son corps à son supérieur, après tout, ils étaient tous les deux des hommes, mais plus parce qu’il en avait assez de devoir supporter le regard du plus âgé. Akira termina d’enlever sa chemise pour ensuite prendre celle qu’on lui avait apportée. Il l’enfila lentement, maintenant ses légères douleurs ancrées au plus profond de son être. En effet, la peau de son torse, à l’origine blafarde, était à présent légèrement rouge à cause du thé bouillant qu’il avait reçu. Mais rien sur les traits de son visage ne laissait penser qu’il pouvait avoir mal. Il restait constamment glacial, comme s’il avait revêtu une sorte de masque imperméable à toute émotion. Une fois qu’il finit de mettre sa chemise il regarda Sekai de façon glaciale, avec pourtant un léger sourire sur le visage. Pourtant, son sourire était tel que s’il était absent, personne ne le remarquerait tant l’intensité de son regard pouvait sembler pesante, oppressante.

” Je vous remercie de votre gentillesse. La taille est parfaite. Vous n’étiez pas obligé de faire cela, je n’avais pas besoin que l’on s’occupe de ma personne. »

Il se fichait de se trouver face à son supérieur, il disait simplement ce qu’il pensait. Personne ne s’était jamais occupé de lui, pourquoi cela commencerait maintenant ? Au risque de se montrer grossier, il avait dit ceci de façon simple, mais avec une once de froideur dans la voix. Ce n’était pas parce qu’il était face à la Reine de sa couleur qu’il allait se montrer tendre et obéissant. Reste à savoir maintenant comment il allait le prendre. Après tout, lui n’est qu’un simple Préparateur…

Sekai fut tout d'abord surpris. Le jeune Préparateur ne s'était pas isolé pour se changer mais déboutonna sa chemise près du bureau des Reines. A priori, le jeune homme ne devait pas être pudique. Puis, la surprise se transforma en intérêt lorsque Sekai découvrit le corps de l'étudiant Pique. Sa peau blanche, son corps bien formé, ses pectoraux qui commençaient à joliment se former, même la marque rougeâtre du thé brûlant sur la peau plu à Sekai. Akira gardait la tête baissée. Il ne semblait pas vouloir affronter le regard inquisiteur de la Reine de Pique. Ce dernier ne fit même pas semblant de regarder ailleurs. Pourtant, il n’aimait pas se comporter comme ses idiotes qui reluquaient leurs idoles sans aucun respect de la pudeur des autres. Mais le jeune Fujiyoshi l’intriguait. Sekai remarqua ses deux poignets en damier noir et blanc. Étrange pour un cuisinier de porter ce genre d’accessoire. Akira fini d’enfiler sa chemise et regarda son supérieur avec un regard mêlant froideur et défi. Un semblant de sourire sur les lèvres, il dévisageait Sekai avec cette once de folie qui réveillait toujours chez le Vice-président un intérêt pour la personne qui le regardait de la sorte.


« Je vous remercie de votre gentillesse. La taille est parfaite. Vous n’étiez pas obligé de faire cela, je n’avais pas besoin que l’on s’occupe de ma personne. »


« Pas besoin qu’on s’occupe de moi. » Exactement le genre de chose que pouvait dire Sekai pour qu’on le laisse tranquille. Et bien, soit. Sekai n’avait de toute façon aucune envie de prendre le temps de s’occuper de chaque étudiant dont il était responsable. Il était déjà suffisamment débordé par ses propres occupations pour qu’en plus vienne s’ajouter ce genre de désagrément. Il adressa un sourire diplomate à son interlocuteur et s’apprêta à prendre congé lorsque qu’une pensée lui traversa l’esprit. Le 6 de Pique ne voulait pas qu’on l’approche. Il ne semblait pas vouloir créer de liens avec les autres. Pourquoi cela ? Depuis qu’Akizumi lui avait ouvert les yeux, Sekai avait compris qu’il était impossible de vivre complètement hermétique aux autres. Lui qui avait pourtant tout fait pour vivre de cette façon depuis la mort de sa mère avait dû se rendre à l’évidence qu’il ne pouvait pas persévérer dans cette voie. Akira lui ressemblait beaucoup. Sekai fut perdu pendant un instant dans un dilemme dont il se serait bien passé : soit tenter d’aider comme il le pouvait le jeune Préparateur, soit le laisser dans son enfermement et le regarder dépérir à petits feux. La deuxième perspective lui semblait la plus simple. Sekai n’aimait pas s’occuper des autres. Il agissait juste ce qu’il fallait pour conserver son poste, mais il ne faisait jamais rien quand il ne pouvait pas en tirer un mérite quelconque. Mais le paradoxe prenant souvent le dessus, Sekai se tourna vers Akira et lui dit :


« Il faudrait faire examiner votre brûlure. Je n’aime pas savoir que je suis la cause de cette blessure. Et je ne me sens pas obligé de m’occuper de vous. Je suis votre supérieur, il est normal que je m’inquiète du bien-être des Rangs dont je suis responsable. »


Sekai prit son carnet et y nota quelques informations. Il venait d’avoir une idée et voulait la mettre en application. Cela ne le mettrait pas en retard dans son emploi du temps, et il ferait d’une pierre deux coups. Sans vraiment comprendre pourquoi, Sekai était intrigué par la personnalité d’Akira. Était-ce dû à sa froideur ? Sa gentillesse hypocrite qui masquait clairement une furieuse colère ? Ses yeux d’un bleu turquoise qui envoûtait le regard de Sekai ? Peu importait le Vice-président. Son instinct lui dictait d’agir pour Akira, et la Reine de Pique avait toujours fait confiance à ses pulsions. Après tout, il pourrait certainement tirer un profit de ce genre d’action.


« Je reviendrais vous voir ce soir après le service, avec quelque chose pour vous. Arrangez-vous pour que nous soyons tranquilles. Sur ce, je vous laisse, j’ai certaines affaires à conclure avant de revenir vous voir. »


Sekai se retourna et quitta la pièce, un sourire malicieux illuminant son visage.

Akira avait pensé avoir pu se débarrasser de discutions inutiles. Malheureusement, Sekai ne devait pas être de cet avis. Alors qu’il croyait avoir été assez clair pourtant pour qu’on le laisse tranquille, vraisemblablement sa demande, même si elle venait d’être dite de façon implicite, n’allait certainement pas être accordée.

« Il faudrait faire examiner votre brûlure. Je n’aime pas savoir que je suis la cause de cette blessure. Et je ne me sens pas obligé de m’occuper de vous. Je suis votre supérieur, il est normal que je m’inquiète du bien-être des Rangs dont je suis responsable. »

Chacune des paroles énoncées donnait l’impression au 6 de Pique d’être un simple subordonné ayant des dettes envers les hauts pontes. Cette pensée agaça le jeune garçon qui resserra ses dents sans pour autant montrer une quelconque agressivité sur son visage enfantin. Il avait pourtant une certaine envie de prendre congé de la Reine dans la seconde, mais il était tout de même respectueux, bien qu’il ne le montre pas souvent. L’ordre pour lui est quelque chose de tout à fait normal, mais évidemment, le contraire va de pair. Il n’y a jamais d’ordre sans désordre. Même s’il ne se trouvait jamais de ce côté de la balance pour éviter de trop attirer l’attention sur sa personne, sa personnalité est telle qu’il est impossible de pouvoir s’y retrouver, et donc encore moins pour une personne extérieure. Mais il laissa faire, faisant comme s’il était compréhensif et obéissant. Il savait de toute façon que cette brûlure partirait bien un jour ou l’autre. Il n’avait aucune raison d’aller se faire examiner, au risque que l’on découvre l’un de ses secrets. Akira ne hocha même pas la tête pour acquiescer et resta le plus neutre possible pour que Sekai parte sans demander son reste. Mais là encore ça ne devait certainement pas être ce que désirait l’autre homme. Malgré son sourire que le plus jeune considéra comme hypocrite pour qu’il ne pose pas de questions, ce qui n’était bien évidemment pas nécessaire puisque jamais Akira ne demanderait quoique ce soit à quiconque, Sekai renchérit une nouvelle fois mais cette fois, cela plut un peu moins au Préparateur.

« Je reviendrais vous voir ce soir après le service, avec quelque chose pour vous. Arrangez-vous pour que nous soyons tranquilles. Sur ce, je vous laisse, j’ai certaines affaires à conclure avant de revenir vous voir. »

Et c’est ainsi qu’il finit enfin par quitter la cafétéria, laissant le garçon à ses songes et interrogations. Une chose pour lui ? Lui avait-il demandé n’importe quoi de la sorte ? Lui avait-il même suggéré qu’il s’occupe de lui comme cela ? Mais pour qui se prenait-il ? Et pour couronner le tout il devait faire en sorte qu’ils soient seuls… Mais que va-t-il inventer… Ce n’est pas vraiment une question en vue de la personnalité tout aussi complexe de la Reine. Il est difficile de lire en lui et Akira appréciait tout particulièrement ce trait de caractère. Il est beaucoup plus agréable de converser avec une personne dont on ne sait pas ce qu’elle peut ressentir au moment où elle nous parle plutôt que quelqu’un de trop émotif qui ne fera que valser entre différentes expressions de visage. Au moins ceci était une qualité de Sekai. Peut-être même la seule. Mais le jeune garçon se fichait de savoir s’il en avait d’autre. La seule image qu’il se faisait de ce secrétaire c’était celle d’un homme toujours accompagné de son calepin à régler chaque seconde du jour et de la nuit pour les prochaines semaines. Cette fois-ci était véritablement la première où il « discutait » avec lui. Ne l’ayant jamais approché, il se moquait complètement de savoir quel genre d’être il pouvait être.

Akira soupira alors puis se dirigea vers sa chambre. Une fois à l’intérieur, la première chose qu’il fit fut d’enlever ses poignets en prenant sa lame fétiche. C’était une sorte de coupe papier d’argent en forme d’épée auquel la garde arborait une aile déployée sur l’un de ses côtés. Il s’installa ensuite sur son lit où il y déposa au préalable une serviette de bain noire. Tout dans sa chambre était de cette teinte de couleur. Seuls les murs étaient dans blanc hôpital, sinon tout ce qui se trouvait dans la pièce était noir. Le bureau était en bois noir, la chaise était noire, les rideaux de velours étaient noirs, la parure de lit était noire, … Rien ne reflétait une quelconque lumière. Même ses lampes étaient tamisées pour éviter trop de clarté. Akira serra alors son poing afin de faire ressortir au maximum ses veines puis approcha lentement la lame de ces dernières. Son visage n’arborait aucune expression, comme si toute vie avait déjà quitté son corps. C’est dans un mouvement lent et précis qu’il entama de se tailler le poignet. La chair se déchirait au passage de l’objet tranchant, laissant échapper au début un simple filet écarlate sur la serviette. Mais à mesure qu’il continuait sa tâche, la plaie s’agrandissait, s’ouvrant plus encore pour laisser son liquide vital s’échapper de son corps. Le sang coulait à présent abondamment de sa blessure et son visage commençait à pâlir plus qu’au quotidien. Ne sortant jamais au soleil, sa peau est d’un blanc neigeux. Mais les traitements qu’il s’inflige lui donnent également une mine de cadavre fraîchement réapparut sur Terre. Se sentant au bord de l’inconscience, Akira vint alors déposer la serviette sur sa plaie pour arrêter l’hémorragie. Il attendit ainsi plusieurs dizaines de minutes, histoire bien laisser le sang coaguler. Son deuxième poignet est du même état que celui sur lequel il se mutile, changeant de temps à autre pour ne pas perdre totalement l’usage de ses mains en coupant trop profondément pour sectionner les tendons. Quelques sueurs froides perlèrent sur son front blafard alors qu’il ferma ses yeux.

Les minutes passaient, ressemblant à des heures. Il fallait qu’il se ressaisisse dès maintenant pour pouvoir exercer son art ce soir. Qui plus est, il fallait qu’il soit présent pour retrouver Sekai sinon celui-ci poserait des questions et découvrirait ce qu’il se faisait. Il se releva donc et partit jusqu’aux douches. A cette heure-ci, personne ne devait s’y trouver et donc il n’aurait pas de problèmes. Du moins il croisait les doigts pour ne rencontrer personne. Arrivé au lieu de lavage, aucune présence à l’horizon, ce qui fit soupirer de soulagement le garçon intérieurement. Il alla alors jusqu’aux lavabos où il se lava le poignet pour enlever le maximum de sang pour le nettoyer. Une fois sa plaie propre, il prit les bandages qu’il avait amenés avec lui puis banda sa blessure. Il fit ensuite différents mouvements anodins qu’il faisait en cuisine pour voir s’il saignait ou souffrait en les effectuant. Si c’était le cas, il continuait jusqu’à ce que ce ne soit plus qu’un souvenir. Il fallait à tout prix que personne ne soupçonne quoique ce soit à son égard. Il devait se comporter comme d’habitude. Le temps avait d’ailleurs filé plus vite que prévu et l’heure du dîner était très proche. N’ayant jamais eu de retard, il ne fallait pas qu’il commence aujourd’hui au risque que quelqu’un lui demande en quoi cela était dû. Il partit donc dans sa chambre remettre ses poignets après avoir soigné au minimum sa plaie et mit sa serviette dans une bassine pleine de javel pour enlever le sang qui s’y trouvait.

Une fois arrivé en cuisine par la suite, il commença directement à préparer quelques entrées et autres confections pour montrer qu’il était comme d’ordinaire, ne parlant à personne et surtout ne faisant aucune erreur de préparation. Les élèves commencèrent alors à s’attrouper dans la cafétéria et à passer commande. Le temps passait cette fois-ci de façon plus rapide. Étrangement, Akira attendait de pouvoir revoir Sekai, intrigué par sa seconde rencontre avec lui. Pourquoi faisait-il tout ça ? Il se moquait de pouvoir avoir commis une quelconque infraction, même s’il savait que ce n’était pas le cas, mais la Reine n’avait aucune obligation qui devait la retenir avec lui. Sa brûlure cicatriserait tôt ou tard et il s’était excusé du mieux qu’il avait pu pour ne pas l’envoyer dans les roses. Que voulait-il de plus ? 22h arriva plutôt rapidement et les pensionnaires sortaient du self le sourire aux lèvres d’avoir mangé royalement comme chaque fois qu’ils étaient servis par le Préparateur des Piques. Ce dernier regarda dans la salle s’il voyait son supérieur du coin de l’œil. Voyant qu’il ne le trouvait pas, il se surprit d’ailleurs à le chercher de cette façon et se re-concentra sur un plat pour le dernier étudiant en salle. Il partit ensuite ranger son plan de travail puis se dirigea vers la réserve pour y déposer les ingrédients dont il ne s’était pas servi aujourd’hui. Il se trouvait bien entendu seul, détestant la compagnie, mais surtout les autres détestant rester avec lui. On le trouvait souvent effrayant et il ne comprenait jamais pourquoi. Toujours est-il que son rendez-vous allait avoir lieu. Il réarrangea ses poignets pour ne pas montrer sa peau nue et mutilée puis attendit patiemment que Sekai veuille bien se montrer en sa présence, les bras croisés sur son torse, adossé au grand frigo.

Sekai venait de passer une demi-heure très pénible. Il referma la porte du bureau de Kamui, pour s’isoler des cris de ce dernier. En effet, Sekai était venu déposer le morceau de photo que l’Echangeur de Cœur avait bien « consentit » à laisser au Vice-président. Bien évidement, lorsque les restes furent amenés au Roi, celui-ci demanda moultes et moultes explications, et était entré dans un état de transe où il étala une quantité impressionnante de choses à mettre en place pour calmer Masami. Cela ne plût absolument pas à Sekai. Il avait pour le moment d’autres plans en tête, plans qui allaient –maintenant il en était certain- lui apporter un intérêt nouveau. Il avait quitté la cafétéria pour venir directement voir Kamui. Ce dernier venait souvent se réfugier dans son bureau juste avant le repas du soir, Sekai était quasiment sûr de le trouver là à ce moment précis de la journée. En quittant le bureau du Président, la Reine de Pique se dirigea vers sa chambre. Il prit le temps de compléter quelques documents qu’il avait laissé dans sa chambre pour occupation, puis ouvrit son armoire pour y récupérer des vêtements propres. Il avait toujours mal au dos et se doutait qu’il devait être salement marqué par la chute, il faudrait qu’il passe à l’infirmerie, même si l’idée d’affronter Matsu-san ne l’enchantait guère. Équipé d’une serviette fraichement lavé et de sa tenue de rechange, il se dirigea vers les douches, qui étaient vide.


*Tant mieux*


Il n’avait pas envie de sentir les regards sur lui lorsque son intimité était exposée à la vue de tous. Il se déshabilla et prit la direction d’une douche se trouvant derrière le muret séparant la pièce en deux. Il laissa à sa peau le temps de s’habituer à la température de l’eau et utilisa son gel douche. Pendant qu’il se massait les muscles, il laissa son esprit divaguer. Il revoyait Kamui marcher de long en large dans son bureau, donnant des directives de tout genre. Sekai avait toujours trouvé son Président excentrique, mais il aimait bien travailler pour lui. Il repensa également au petit Echangeur de Cœur. Il avait réussi à étonner le Vice-président par son comportement légèrement téméraire, cela l’avait, malgré tout, bien amusé. Finalement, ses pensées dérivèrent sur Akira. Quel étrange personnage ! Sekai n’arrivait pas à définir correctement les pensées du Préparateur, et cela lui plaisait énormément. Il adorait les imprévus, et se délectait à l’avance de ce que la rencontre avec le cuisinier allait pouvoir donner. Il se rinça abondamment, s’essuya méthodiquement et s’habilla. Il rajusta sa cravate devant un miroir, repassa à sa chambre pour y déposer son ancienne tenue, récupéra deux objets qu’il rangea dans la poche intérieure de sa nouvelle veste et ferma la porte de son dortoir à clé. Il vérifia que la dite-porte était correctement close et prit la direction de la sortie du Bâtiment. Il était déjà 21h45. Le service du soir allait se terminer d’ici peu, et Akira serait disponible pour leur entrevue. Étrangement, Sekai ressenti une légère appréhension. Il se mit à douter du résultat de son acte. Après tout, c’était la première fois qu’il tombait sur une personne aussi imprévisible qu’Akira. Mais il se rassura en se disant qu’il avait prévu une issue de secours en cas de besoin, donc il effaça la crainte de son esprit.


Il arriva à la cafétéria juste à temps. Il croisa un étudiant qui sortait de table, ce dernier baissa les yeux quand tu passas devant Sekai. Ce dernier avait prit l’habitude de cette réaction lorsqu’il croisait quelqu’un d’un Rang inférieur. Il ne s’en offusqua le moins du monde, vu le peu d’intérêt que pouvait lui apporter une réputation correcte dans un lieu comme la Pink Cage. Moka et son équipe de rapaces avaient entaché les réputations de pratiquement tout le monde –lui y compris- et il ne se souciait donc plus de l’image qu’il renvoyait aux autres depuis un bon moment déjà. Il se dirigea vers le bureau des Reines afin d’y déposer un des deux objets qu’il avait pris avec lui. Il renferma le bureau et se dirigea vers les cuisines. Personne. Il continua son investigation et fini par trouver sa cible, appuyée contre un des réfrigérateurs. Le Préparateur esquissa un semblant de mouvement vers Sekai, mais celui-ci fut plus rapide que lui et se pressa à sa rencontre.


« Excusez-moi pour le retard, une affaire m’a retenue plus longtemps que je ne le désirais. Voilà, je désirais m’entretenir avec vous, pour commencer pour votre brûlure. Je me doute qu’elle n’est pas grave et qu’elle guérira facilement, mais j’aimerais vous administrer ce baume de ma fabrication, il est très efficace. »


Sekai récupéra le petit tube dans sa poche et le tendit vers Akira.


« Ne vous inquiétez pas, Fujiyoshi-san, ce n’est rien qu’un simple baume apaisant. Vous n’avez pas de crainte à avoir pour ce genre de produit 100% naturel. Si vous pouviez ôter votre chemise que je puisse l’étaler sur la brûlure, je cesserais de vous importuner dans vos occupations. »


Sekai savait que son jeu était risqué. Il ne voulait pourtant pas faire de mal au jeune Préparateur. Mais il pouvait comprendre que sa demande paraissait étrange. La Reine de Pique montra son sourire le plus convaincant possible, en attendant une réaction du Préparateur.

Le temps s’était comme arrêté. Plus aucun bruit ne résonnait, plus personne ne se trouvait dans les cuisines, personne sauf Akira. Toujours adossé contre l’immense frigo, la tête en arrière, regardant le plafond d’un air songeur. Pourquoi Sekai lui avait-il demandé de faire en sorte qu’ils soient seuls ? Qu’allait-il lui donner ? Pourquoi voulait-il le revoir ? Tant de questions se bousculaient dans la tête du Préparateur. Mais aucune réponse n’arrivait à se former pour laisser son esprit en paix. Tout se chamboulait autour de lui, il ne savait même plus pourquoi il attendait la Reine. Il ferma alors ses yeux, essayant de se vider la tête de toute pensée négative, même si pour lui c’était extrêmement difficile. C’est alors qu’il entendit des pas se rapprocher, ce qui le fit rouvrir ses yeux pour voir de qui il s’agissait. Bien évidemment, son supérieur apparu au bout de la pièce. Akira soupira très légèrement pour ne pas que Sekai perçoive ce qu’il venait de faire. Il s’enleva alors du frigo et fit un pas en direction du jeune homme. Mais une sorte de vertige le prit alors et sa vision se troubla pendant une petite seconde, le faisant se stopper. Il devait très certainement avoir perdu un peu trop de sang et les effets secondaires se faisaient ressentir. Mais pourquoi maintenant ? Il venait de faire tout son service sans le moindre problème. Ses actions devaient être tellement machinales qu’il n’avait rien ressentit. Là en revanche, il pouvait clairement voir que quelque chose n’allait pas, même durant une simple seconde. Akira avait cru que son arrêt avait éveillé des soupçons chez Sekai qui se rapprocha rapidement de lui. Mais visiblement c’était simplement pour venir le voir comme il en avait été convenu. Le jeune garçon reprit rapidement ses esprits et regarda l’autre Pique froidement, comme s’il avait autre chose à faire que discuter de la pluie et du beau temps.

« Excusez-moi pour le retard, une affaire m’a retenue plus longtemps que je ne le désirais. Voilà, je désirais m’entretenir avec vous, pour commencer pour votre brûlure. Je me doute qu’elle n’est pas grave et qu’elle guérira facilement, mais j’aimerais vous administrer ce baume de ma fabrication, il est très efficace. »

La voix du plus vieux résonna à ses oreilles comme un bourdonnement. Il distingua tout de même chacune des paroles qui venait d’être dites, mais son état semblait se détériorer. Mais il ne laissa rien paraître, ne voulant pas qu’il lui pose de questions qui pourraient très certainement le faire sortir de lui. Akira attendit quelques secondes, le temps d’assimiler les dires de Sekai. Un baume ? Pour sa brûlure ? Mais de quoi se mêlait-il ? Tout allait bien, il n’y pensait même plus tant ses pensées convergeaient vers une autre blessure, beaucoup plus récente. Mais il fallait se comporter comme au quotidien. Le jeune homme lui tendit alors ledit baume en renchérissant.

« Ne vous inquiétez pas, Fujiyoshi-san, ce n’est rien qu’un simple baume apaisant. Vous n’avez pas de crainte à avoir pour ce genre de produit 100% naturel. Si vous pouviez ôter votre chemise que je puisse l’étaler sur la brûlure, je cesserais de vous importuner dans vos occupations. »

Que venait-il de dire ? Que voulait-il faire ? Il n’y pensait pas ! Qu’il enlève sa chemise ? C’était tout simplement insensé ! Comment osait-il lui dire une chose pareille ? Il avait beau être son supérieur direct, le Préparateur ne répondrait certainement pas à toutes ses attentes. Un léger rictus vint arborer son visage dont quelques sueurs froides commencèrent à faire leur apparition. Un infime rire moqueur vint alors se faire entendre. Les prunelles turquoises d’Akira fixèrent alors de façon on ne peut plus glaciale la Reine de Pique tandis qu’il resta de marbre.

« Vous pensez vraiment que je ferai une chose pareille ? Lorsque j’ai enlevé ma chemise dans la cafétéria cet après-midi, c’était uniquement parce que je ne voyais pas l’utilité de partir me changer pour revêtir un simple haut. Je l’ai donc fait devant vous. Mais là… Vous n’y pensez tout de même pas ? »

Le 6 de Pique vint alors poser ses mains de chaque côté de ses hanches, prenant peu à peu un ton digne des plus dévastatrices tempêtes polaires, y ajoutant son regard du même ordre.

Peut-être que vous aimez cela, voir vos petits subordonnés se montrer faibles et obéissants lorsque vous les croisez. Mais sachez que je ne suis pas de ce genre-là. Mes blessures ne vous regardent nullement alors si vous êtes venu jusqu’ici uniquement pour m’administrer ce remède, vous pouvez passer votre chemin. Je n’ai en aucun cas besoin d’une aide extérieure pour prendre soin de ma personne.

Akira maintint son regard ancré dans celui de Sekai, voulant lui faire comprendre qu’il ne cèderait pas même s’il était son supérieur direct. Peut-être lui donnerait-il une sanction, mais à dire vrai, il s’en moquait éperdument. Il attendait tout de même la réaction de l’autre homme, l’incitant du regard à prendre congé de lui.

« Vous pensez vraiment que je ferai une chose pareille ? Lorsque j’ai enlevé ma chemise dans la cafétéria cet après-midi, c’était uniquement parce que je ne voyais pas l’utilité de partir me changer pour revêtir un simple haut. Je l’ai donc fait devant vous. Mais là… Vous n’y pensez tout de même pas ? »


Le jeune Préparateur positionna ses mains sur ses hanches, et Sekai l’observa des pieds à la tête. Akira se donnait un air impressionnant, et cela amusait énormément la Reine de Pique. Bien sûr, il ne laissa rien paraître et conserva son masque de Vice-président, faisant mine d’être affecté par les propos du jeune garçon. Mais Sekai était satisfait, il venait de trouver un indice sur ce qu’il suspectait. Akira n’était pas vraiment plus petit que lui, mais Sekai avait l’impression que le jeune homme voulait se donner de la grandeur pour inciter la Reine de Pique à le laisser tranquille. C’était mal connaître Sekai.


« Peut-être que vous aimez cela, voir vos petits subordonnés se montrer faibles et obéissants lorsque vous les croisez. Mais sachez que je ne suis pas de ce genre-là. Mes blessures ne vous regardent nullement alors si vous êtes venu jusqu’ici uniquement pour m’administrer ce remède, vous pouvez passer votre chemin. Je n’ai en aucun cas besoin d’une aide extérieure pour prendre soin de ma personne. »


Sekai jubila intérieurement. Il avait obtenu la réaction qu’il désirait voir chez Akira. Ce dernier soutien le regard de Kakumei-san et semblait attendre que Sekai abandonne sa demande si saugrenue. Sekai se plongea entièrement dans le regard du jeune Préparateur, comme il savait si bien le faire. Il fallait qu’il soit prudent, il ne voulait pas effrayer le 6 de Pique avec ces allusions. Mais il n’avait pas le choix s’il voulait obtenir la réaction adéquate pour la suite. Il s’approcha doucement d’Akira, lentement, pas à pas, en gardant ses yeux fixés dans ceux du talentueux cuisinier. Sekai perçut la position de défense dans laquelle se mettait le Préparateur. Très bien. Lentement, il tendit un bras vers le visage exprimant une si grande colère –et pourtant si attirante pour Sekai- et glissa son doigt sur sa joue rosie. C’est le moment que la Reine de Pique choisie pour ôter son masque de Vice-président obéissant et faire sortir une facette de sa personnalité bien plus entreprenante. Son sourire bienveillant se transforma en sourire plein de lubricité, ses yeux dégageaient une folie douce qui lui donnaient une aura de pervers.


« Mon p’tit Akira … Ne m’oblige pas à faire quelque chose que tu regretterais par la suite … »


Il était passé au tutoiement volontairement, espérant que cela amplifie la réaction tant attendue. Il laissa son doigt glisser sur la peau de sa joue, et atteignit le cou. Sekai fut surpris qu’Akira n’ait pas encore bougé. Il s’attendait à recevoir son poing dans le visage. Il continua sa descente en attendant de voir sa réaction.

Alors que le jeune garçon à la chevelure blanche venait expressément de demander à son comparse de bien vouloir quitter les lieux, ce dernier ne semblait pas de cet avis. Akira venait de lui dire très clairement ce qu’il pensait et voulait qu’il quitte son lieu de travail dans la seconde sous peine de se voir très mal accueillit. Vraisemblablement, c’était cette option qu’avait choisi la Reine de Pique. Sekai se rapprocha progressivement de lui, pas à pas, soutenant constamment le regard du subordonné. A mesure qu’il le voyait s’avancer vers lui, des sueurs froides vinrent se former au niveau des tempes du Préparateur, non pas parce qu’il paniquait, mais parce qu’il se retenait le plus possible pour ne pas lui asséner plusieurs coups bien placés pour mettre à bas son opposant. Akira recula l’une de ses jambes d’un pas pour se mettre en position de défense, se préparant à frapper si aucune autre possibilité ne s’offrant à lui. Il releva alors légèrement sa main de sur sa hanche, l’ouvrant progressivement pour prendre pleinement sa position. Mais ce n’était apparemment pas ceci qui arrêta Sekai. Celui-ci leva son bras vers le visage du plus jeune qui commençait peu à peu à arborer une expression de vive colère. Mais ce n’était rien comparé à ce qui allait suivre. Il sentit alors les doigts du jeune homme effleurer sa peau. Il venait de le toucher. Il avait osé. Le contact humain, Akira détestait cela au plus haut point. Le fait de toucher le corps d’un autre être de chaire. Combien de fois s’était-il retenu pour ne pas envoyer à l’infirmerie les pensionnaires qui avaient osé poser la main sur lui, même légèrement. Il se contenait de serrer le poing et de leur dire de retirer vivement leurs sales pattes de lui. Ils s’exécutaient alors et tous passaient à autre chose. Mais là… Là on venait le provoquer.

« Mon p’tit Akira … Ne m’oblige pas à faire quelque chose que tu regretterais par la suite … »

Il le voyait, son sourire, son expression avait changé, il devenait plus… menaçant. Akira percevait très nettement le changement de comportement. Les yeux du plus vieux restaient à le fixer, observant ses moindres faits et gestes. Aucun son n’arrivait jusqu’aux oreilles d’Akira. Aucun jusqu’à ce qu’il entende les propos de son supérieur. « Mon p’tit Akira » ? Comment venait-il de l’appeler ? Là c’était véritablement la goutte qui faisait déborder le vase. Mais Sekai n’avait pas l’air de vouloir s’arrêter là. Ses doigts continuaient leur progression jusqu’à venir caresser légèrement la nuque blanche du garçon. Le 6 de Pique était tétanisé. Jamais personne ne l’avait touché de la sorte. Ses poings se refermèrent alors, allant jusqu’à trembler quelque peu tant la soif de se battre venait submerger le garçon. Ses yeux turquoises restaient ouverts, légèrement écarquillés alors que sa mâchoire crispée s’entrouvrit pour que quelques paroles franchissent le seuil de ses lèvres.

« Je vous conseille… de vous éloigner de moi… De quel droit vous permettez-vous de me toucher… Et comment osez-vous… me tutoyer… Nous ne sommes pas… amis… Je n’ai plus rien à faire avec vous… Je vous prierai donc de bien vouloir quitter cette pièce… »

Mais au lieu de prendre en compte les mises en garde d’Akira, la Reine continua de caresser sa nuque découverte, arrachant alors un frisson ainsi qu’un hoquet de surprise au plus jeune. Ses poings ses crispèrent alors encore plus, entamant presque la peau de ses paumes avec ses ongles. Sa voix tremblait légèrement, non pas de peur mais toujours d’une retenue qui s’amenuisait petit à petit jusqu’au point de non-retour. Malheureusement, son envie prit le dessus sur sa raison.

« J’avoue… J’ai menti… J’ai bien une dernière chose à faire… avec vous… »

Son corps bougea alors presque tout seul et son bras se leva d’un seul coup alors qu’il se recula d’un pas pour avoir une meilleure portée. Il dirigea alors sa main tout droit vers le visage de celui qui avait osé poser ses doigts sur lui dans une vivacité contrôlée et accrue par la colère. Il ne pouvait pas manquer sa cible, c’était impossible. Cette fois-ci la sanction était inévitable, mais au mois, il se serait défoulé un peu.

« Je vous conseille… de vous éloigner de moi… De quel droit vous permettez-vous de me toucher… Et comment osez-vous… me tutoyer… Nous ne sommes pas… amis… Je n’ai plus rien à faire avec vous… Je vous prierai donc de bien vouloir quitter cette pièce… »


Sekai voyait Akira lutter très difficilement contre son envie de le frapper. Il fallait qu’il insiste encore un peu pour le pousser à bout. La Reine de Pique constatait que le jeune homme était parcouru de frissons. Était-ce dû à ses caresses ?? Ou peut-être luttait-il tellement contre son envie de frapper Sekai qu’il en tremblait ? Le Vice-président s’amusait comme un diable. Il n’avait jamais pris autant son pied en faisant ce genre de chose. Il aurait presque pu y prendre son pied si le but de la manœuvre n’était pas aussi sérieux.


« J’avoue… J’ai menti… J’ai bien une dernière chose à faire… avec vous… »


La suite fût très rapide. Le Six de Pique crispa ses poings, leva son bras et prit une position de recul, afin de prendre de l’élan pour donner un magnifique coup de poing dans la direction du visage de Sekai. Heureusement pour ce dernier, il n’attendait que cette réaction là. Il évita de justesse le « missile » qui frôla de près sa joue, et attrapa le bras au vol. Il tira la main vers lui et retira le poignet en damier qui couvrait la peau si claire du Préparateur.


« Je m’en doutais … »


Puis, sans qu’il n’est vraiment le temps de comprendre d’où il venait, Sekai reçu un autre coup en plein ventre. Il se sentit se plier en deux, et tomber à genoux, se tenant l’abdomen, en tentant de reprendre son souffle. Il entendit vaguement des bruits de pas s’éloigner rapidement. Sekai resta un long moment, dans cette position inconfortable, se forçant à respirer à un rythme régulier. Sa vue troublée reprit peu à peu substance. Il fallait qu’il se calme. La conclusion n’était pas tout à fait comme il l’avait prévu –pas du tout même- mais il avait obtenu la confirmation qu’il désirait. Il se sentait sale, complètement en sueur, légèrement humilié par le coup qu’il n’avait pas prévu, mais soulagé. Il savait que la suite n’allait pas être simple, mais il avait idée assez précise de ce qu’il allait pouvoir faire par la suite.


Sekai retourna à sa chambre, se laissa tomber sur le lit, face au plafond. Il resta immobile un bon moment. Ses sentiments étaient confus. Une multitude de souvenirs qu’il pensait avoir refoulé refaisaient surface. Il se souvenait de la mort de sa mère. Sa poitrine ensanglantée. De son meurtrier. De son regard juste avant qu’il quitte la chambre du jeune garçon. Il se souvint également de son arrivée dans sa première famille d’accueil. De son envie d'en finir. De se faire mal. De ses premières coupures.


Il se leva et se positionna devant le miroir de son armoire. Il se déshabilla très lentement. Cela ressemblait à une sorte de cérémonie, où chaque vêtement était ôté de manière méthodique et minutieuse. Une fois entièrement nu, il se regarda son reflet dans la glace, et fixa cet endroit qu’il détestait tant sur son corps. Il se laissa tomber à même le sol et pleura de longues heures.

S’en était trop. Il venait de dépasser les bornes, et la sanction devait être appropriée. Sekai allait le regretter amèrement. Le poing du jeune garçon continuait sa rapide progression vers le visage de la Reine de sa couleur. Il était certain de l’avoir. Mais alors qu’il pensait le mettre à terre, le jeune homme vint lui prendre sa main et le tira vers lui en ôtant avec habilité l’un des précieux poignets d’Akira. Le visage de ce dernier se crispa alors dans une expression mêlant surprise et anxiété.

« Je m’en doutais … »

Le plus vieux des deux garçons semblait satisfait de sa découverte. Visiblement, il s’attendait à trouver une telle chose. Mais une question ne pouvait s’enlever de l’esprit du Préparateur : comment avait-il fait pour le manquer ? Il était pourtant certain d’avoir eu assez de célérité pour asséner un puissant coup dont il n’aurait pu se défendre. Alors comment Sekai avait-il réussi à lui parer si facilement son coup ? Sa faiblesse ? Etait-ce dû au fait qu’il avait perdu beaucoup trop de sang pour être en pleine possession de ses capacités ? Il n’y avait que cette possibilité qui était envisageable. Mais c’était loin d’être terminé. Sekai avait fait une grosse erreur en le rapprochant de lui, et il allait en pâtir, tant pis pour les conséquences que cela allait entraîner. Dans ses dernières forces, Akira utilisa toute la rapidité dont il disposait pour donner un puissant coup de genou au niveau du ventre de plus grand des Piques. Cette fois-ci, il ne pourrait pas lui échapper. Sekai fut obligé de le lâcher en se pliant en deux, preuve qu’Akira n’avait pas raté sa cible, bien au contraire. Sa colère avait amplifié sa frappe, si bien que le 6 de Pique se trouva dans une sorte de frénésie incontrôlable lorsqu’il lui avait porté son coup. Il reprit alors vivement son poignet puis courut du mieux qu’il put pour s’éloigner le plus possible de Sekai.

Il ne savait pas où ses pas le conduisaient, mais il les suivait aveuglément. Il les avait vues, la Reine de sa couleur venait de percer le secret que personne ne devait découvrir sur lui. S’en était fini, jamais plus Akira ne pourra exercer son art, jamais plus il ne sera tranquille. Il devra se cacher, constamment, pour ne pas que son supérieur le retrouve. Tout était fini, il ne pouvait plus rien faire pour réparer son erreur. Si seulement il ne s’était pas mutilé juste avant leur entre-vue, il aurait pu le frapper dès sa première tentative et partir sans demander son reste. Mais il avait été imprudent, et maintenant, il en était rendu au point de non-retour. La sanction tomberait, il serait anéanti. La première chose à faire serait d’aller jusqu’à sa chambre pour y récupérer sa lame et la garder toujours sur lui, au cas où il devrait en finir pour de bon. Akira se dirigea donc vers le dortoir des Piques puis pénétra dans son habitat, fermant la porte derrière lui en s’y adossant. Ses yeux se portèrent alors sur la bassine qu’il avait préparée peu de temps auparavant pour enlever toute trace de sang sur sa serviette. Ses poings se crispèrent et, dans un puissant râle de colère, la fit voler à travers la pièce, trempant ainsi le sol de javel. Mais il s’en moquait, tout ce qui importait été de passer ses nerfs. Mais sur quoi, sur qui ? Il fallait qu’il se vide l’esprit où plus personne ne pourrait l’arrêter. Sa frénésie devenait folie. Se dirigeant vers le mur du fond de la pièce, il y envoya son poing une première fois, le bruit résonnant dans toute la pièce et, il en était certain, jusqu’au couloir. Mais peu importe, il devait se calmer au risque d’aller retrouver Sekai pour le faire taire.

Un deuxième coup fut envoyé contre le mur, puis un troisième, un quatrième… Il ne s’arrêterait pas tant qu’il ne serait pas redevenu un tant soit peu serein. Ses phalanges se fracassaient contre l’architecture de sa chambre, commençant à teinter de rouge l’endroit qu’il ne cessait de cogner. Mais pour ne pas devenir invalide de sa main, il en changea, frappant de l’autre contre le mur. Il ne pouvait se stopper. Des larmes commençaient à perler le long de ses joues, mélangeant colère, douleur et crainte. Il était fini, son existence avait pris fin au moment même où le jeune homme avait découvert ce qu’il cachait. Il n’avait pourtant rien fait qui puisse lui indiquer les traitements qu’il s’infligeait. Mais quelque chose avait dû le mettre sur la piste. Il ne fallait plus qu’il le croise. Si ça venait à se reproduire, comment réagirait Akira ? Allait-il de nouveau se jeter sur lui ? Allait-il fondre en larme, se montrer faible et vulnérable ? Non, toutes ses options ne devaient pas se réaliser. Il ne devait plus le voir, un point c’est tout. Il resterait dans ses cuisines, demandant à être alerter si jamais Sekai venait à réapparaître pour prendre purement et simplement la fuite. Dès que son service serait terminé, il reviendrait directement dans sa chambre, sans faire de détour. Le reste de sa vie consisterait à se cacher de lui. S’il venait à en parler à quelqu’un ? Il le ferait sans doute, voulant le voir dépérir un peu plus qu’à l’heure actuelle. Akira voyait déjà les gros titres : « Un cuisinier suicidaire parmi nous, prenez garde, ses plats sont peut-être de cette même trempe »

Tout était fini. Sa vie venait de prendre fin. Plus jamais il ne pourrait se regarder à nouveau dans la glace avec froideur comme il le faisait habituellement. Tout, il devait tout abandonner. L’espoir de se voir finir ses jours en cuisines sans jamais être déranger, l’envie de créer une nouvelle variété de plats que tout le campus viendrait lui réclamer. Il fallait faire une croix à tout ça, tous ses projets… C’est donc dans cet état d’esprit qu’Akira sombra dans le sommeil, épuisé, dans les ténèbres de sa chambre, recroquevillé sur lui-même sur son lit, sans qu’aucune lumière ne vienne perturber sa transe funeste.